Georges Vidal, L’armée française et le communisme. Guerre-révolution, insurrection et enjeu soviétique, 1939-1945.
Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2023, 412 p. Préface d’Olivier Forcade.
Cet ouvrage est une déception.
Il y a, pour l’essentiel, trois parties distinctes dans ce livre qui, toutes les trois, provoquent la déception du lecteur, mais pour des raisons différentes. Le premier grand développement concerne la drôle de guerre. Les archives consultées sont abondantes mais hémiplégiques. Elles sont abondantes, car de nombreux cartons des différents services de l’armée française ont été consultés. Et, comme dans tous les services de police ou de renseignement pendant les périodes de crise, les notations farfelues sont légion. Ainsi, comme d’autres auteurs précédents, Georges Vidal relève les nombreux voyages fantaisistes attribués à Maurice Thorez. Il n’est pas inutile de reproduire toutes ces rumeurs, signe de la très mauvaise connaissance du PCF par de nombreux échelons de l’armée ; encore convient-il de les relativiser. Pour cela, la reconstitution du tri et de la synthèse opérés par les échelons supérieurs reste l’essentiel. Il est clair qu’une rumeur rapportée mais immédiatement écartée, ou une rumeur rapportée et immédiatement relayée, représentent toutes les deux des traces dans les archives, mais dont la valeur heuristique est parfaitement contradictoire. Or, si le lecteur est informé de toutes les rumeurs, il a du mal à retrouver le processus de hiérarchisation et de synthèse. En raison de la récolte lacunaire des renseignements, de la mauvaise connaissance initiale de l’objet PCF et de la culture politique souvent ignare et très fréquemment frappée du coin d’un anticommunisme primaire, les points de vue et les propositions extrêmes abondent dans les documents militaires. Il n’en demeure pas moins que lorsqu’on monte dans la hiérarchie décisionnelle, qu’elle soit militaire, policière ou gouvernementale, ce ne sont pas ces propositions extrémistes et liberticides qui l’emportent mais, en définitive, un traitement équilibré d’un parti qui a pourtant, de fait, déclaré « la guerre à la guerre » menée par son pays en temps de guerre.
Mais là intervient la deuxième caractéristique de la quête documentaire de l’auteur, son caractère hémiplégique. Alors que son objet de recherche – comme dans tout sujet de type « A et B » – consiste à analyser le « traitement » du PCF par l’armée française, mais aussi celui de l’armée par le PCF, Georges Vidal se contente – pour le deuxième aspect – des seules archives militaires. Les archives du PCF sont négligées et les principales études historiques basées sur ces archives balayées. Mais, puisqu’il faut bien tenir un discours sur la politique du PCF, puisque le discours de l’armée sur celui-ci est, pour la raison explicitée supra, délégitimé, l’auteur reprend à son compte la quasi-totalité des analyses de l’historiographie officielle communiste, alors même que peu d’historiens non militants y accordent encore un crédit quelconque. Résumer la politique communiste de la drôle de guerre par le sous-titre « l’antimilitarisme introuvable » (p. 41) est quand même un peu court au vu de toutes les déclarations frôlant la ligne rouge du défaitisme. Certes, le PCF ne reprend pas la politique léniniste de 1914 – souhaiter la défaite de son propre pays dans la guerre impérialiste – mais le PCF n’est pas pour autant devenu un vulgaire parti patriote comme les partis radical ou socialiste. Déterminer le positionnement du curseur entre ces deux extrêmes, et en expliquer les raisons, tel est précisément le travail de l’historien.
Au temps de la drôle de guerre succède celui de l’occupation. Là, Georges Vidal a étrangement démultiplié son sujet. À son objet majeur qu’est l’attitude de l’armée envers le PCF, il rajoute le niveau civil et gouvernemental. Et, logiquement, il utilise désormais prioritairement les archives diplomatiques. Celles-ci sont assurément riches sur les relations entre Moscou, la France libre et Vichy, mais tout cela éloigne l’auteur de son terrain de prédilection. Et, pour l’essentiel, il confirme le résultat des études précédentes menées par les spécialistes des relations internationales.
Reste le troisième grand développement, traitant de la Libération. Cette fois-ci, Georges Vidal a saisi l’importance des sources primaires sur le communisme et il consulte un fonds d’archives internes du PCF, celui de Jacques Duclos, conservé au Musée de l’Histoire vivante, ce qui lui permet de citer des documents tout à fait intéressants. Mais, contrairement à ce qu’affirme la préface, il ne s’agit nullement des archives du secrétariat du Parti pour la période 1939-1944 ; tout cela ne représente que deux dossiers d’archives, regroupant partiellement les relations épistolaires entre Jacques Duclos et la direction de la zone sud du Parti, entre 1943 et 1944 (je mets de côté La Vie du Parti, déjà connue et analysée depuis des décennies et, au demeurant, non réellement étudiée par l’auteur).
Au moins le lecteur s’attend-il à revoir ce que l’auteur lui avait offert dans la première partie de son ouvrage, à savoir un résumé attentif des documents des états-majors et de certaines régions militaires traitant du PCF. D’autant que deux thèses de grande qualité ont été récemment publiées, qui abordent en partie ce problème : Claire Miot, La première armée française. De la Provence à l’Allemagne, 1944-1945 (Paris, Perrin, 2021) et Stéphane Weiss, Le réarmement français de 1944-1945. Faire flèche de tout bois (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022). Le programme de recherche était tout tracé : dépouiller les archives des différents états-majors (EMG, EMGG, EMDN pour l’essentiel), regarder les synthèses de ces états-majors transmises au général de Gaulle, puisque les archives présidentielles sont désormais accessibles, descendre le regard en totalité ou partiellement dans les vingt régions militaires, scruter attentivement les différents 2e bureau, sans oublier les riches archives de la gendarmerie et, finalement, analyser toutes ces visions du communisme en général et du PCF en particulier. Mais rien de tout cela n’apparaît dans l’ouvrage. À la place, nous trouvons, comme archives, quelques documents épars issus du ministère des Affaires étrangères ou de fonds privés déposés au SHD. Mais il faut bien tenir un discours, et là se révèle une nouvelle lacune historiographique. Depuis, entre autres, l’ouvrage majeur de Jean-Jacques Becker (Le Parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? La stratégie du PCF de 1930 à nos jours (Paris, Éditions du Seuil, 1981), on connaît le paradoxe stratégique communiste : à chaque fois que le PCF avance la perspective révolutionnaire, c’est qu’il ne la tente pas ; à chaque fois qu’il la tente, il ne l’annonce pas. Et c’est un fait, qu’à l’échelle mondiale, tel ou tel parti communiste a pris le pouvoir au XXe siècle ; mais jamais au nom du communisme, toujours au nom d’un objectif prétendument intermédiaire : l’antiféodalisme, l’antifascisme, la libération nationale, la démocratie populaire… Ignorant cet acquis historiographique, Georges Vidal recherche la preuve de la volonté révolutionnaire du PCF dans le retour à l’antimilitarisme déclaratif antérieur à 1934, d’où sa recherche du « complot communiste », de l’insurrection prolétarienne, du putsch, du coup de force, etc. Ne les trouvant évidemment pas, il en conclut que le PCF reste parfaitement républicain. En janvier 1944, Thorez rencontre à Moscou le représentant du général de Gaulle. Georges Vidal résume la fin de l’entretien : « En conclusion, [Thorez] affirme : “Mon parti ne songe pas à prendre le pouvoir […]. Ce que nous voulons, c’est l’union de toutes les forces nationales.” Ces déclarations de Thorez, qui exprime sa position [souligné par moi] en accord avec la direction soviétique… » Comme l’écrivait Marc Bloch : « que les témoins ne doivent pas être forcément crus sur parole, les plus naïfs des policiers le savent bien ».
Philippe Buton
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (7 juin 2024). Georges Vidal, L’armée française et le communisme. Guerre-révolution, insurrection et enjeu soviétique, 1939-1945. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11s6p
Commentaires par l’auteur du livre : Georges VIDAL (UMR 8138 SIRICE)
Philippe Buton donne d’entrée sa conclusion : « Cet ouvrage est une déception »
Voici l’ouvrage, en libre accès : https://books.openedition.org/pur/192375?lang=fr
Quelques comptes rendus sont accessibles sur le web.
A propos du compte rendu de Philippe Buton:
Pour un lecteur ayant déjà pris connaissance du livre, l’impression première donnée par cette recension est que son auteur a survolé le livre, titre, introduction et conclusion comprises, n’a pas regardé sa table des matières, ne s’attachant seulement qu’à repérer et à commenter à des fins polémiques des passages en rapport avec ses propres préoccupations historiographiques. Cette lecture singulière produit une recension tronquée et d’une telle partialité par ses allégations et ses inexactitudes qu’en tant qu’auteur de l’ouvrage je ne peux que réagir.
Les croisements des historiographies du militaire et du mouvement ouvrier restent d’autant plus rares que ces deux champs de recherche ont tendance à s’ignorer et que leurs spécialistes respectifs ne font pas toujours bon ménage. Aussi, publier sur le site du Mouvement social, le CR d’un ouvrage centré sur l’armée française, en rapport avec le communisme, dans une période particulièrement sensible, dramatique et compliquée de son histoire demandait a minima de s’informer sur son historiographie et ses archives. Un préalable dont Philippe Buton s’est de toute évidence dispensé.
Ainsi, le titre de l’ouvrage annonce une démarche qui croise les approches politiques, culturelles et stratégiques et qui suggère un va-et-vient entre les considérations de politique intérieure et les regards portés sur les enjeux internationaux. Ignorant cette approche d’ensemble et ses implications conceptuelles, Philippe Buton considère implicitement que l’objet de l’étude est fort simple, ce qui l’autorise à annoncer d’emblée que l’ouvrage est organisé « pour l’essentiel (sic) en trois parties distinctes » selon un découpage chronologique générique de la France dans la guerre. Or, le livre est divisé en deux grandes parties, comptant chacune trois chapitres, selon une structuration chronologique qui suit le temps militaire français dans la guerre avec ses spécificités et ses moments de rupture. La première partie est intégralement issue de mon dossier HDR présenté devant un jury présidé par Jean-François Sirinelli et constitué d’Olivier Forcade, Olivier Wieviorka, Jean-François Muracciole, Christine Levisse-Touzé et Frédéric Monier. Aucune des critiques ou affirmations formulées par Buton n’apparaît dans le rapport de soutenance.
Ensuite, le CR évoque assez longuement la drôle de guerre qui n’occupe pourtant qu’un seul chapitre dans l’ouvrage. Buton s’attache à donner une description stéréotypée de la « culture politique souvent ignare » de militaires « anticommunistes primaires » et d’une armée parcourue par des « rumeurs », mais qui seraient toutefois le plus souvent filtrées par les échelons supérieurs de l’armée. Or, l’historiographie politique de l’armée depuis les travaux pionniers de Raoul Girardet, de Pierre Ordioni et d’André Martel, complétés et renouvelés depuis une bonne vingtaine d’années par de nouvelles générations d’historiens et enrichis par des études de sciences sociales, invalident ces clichés, en particulier parce que dans la politisation de l’armée la logique hiérarchique n’est pas centrale. Cela est vrai pour l’entre-deux-guerres et reste valable pendant la drôle de guerre et au-delà. Vues sous cet angle, au cours de cette dernière période, les tensions entre conceptions ou sensibilités à propos du communisme parcourent l’institution militaire et leurs caractères antagoniques sont perceptibles entre échelons ou services du haut en bas de la hiérarchie. Exemples éclairants décrits dans l’ouvrage : les stratégies et pratiques divergentes des BCR ; l’opposition constante entre les 2e et 5e bureaux de l’EMA ; les tensions entre le gouverneur militaire de Paris et le Grand Quartier général ; les désaccords entre les généraux Gamelin et Georges.
Vient ensuite la période de l’occupation que Buton expédie en quelques lignes bien qu’elle occupe quatre chapitres, soit les deux tiers de l’ouvrage. Ce passage est consacré au seul recentrage de ma recherche sur « les archives diplomatiques », un dérapage qui m’aurait éloigné de mon « terrain de prédilection » et fait dériver mon études vers « les niveaux civil et gouvernemental ». Une lecture plus attentive, en particulier de l’appareil de notes, aurait permis à Philippe Buton de constater que la grande majorité des documents exploités aux archives des AE sont d’origine militaire, une bonne proportion d’entre eux étant d’ailleurs inédite. L’explication de cette réorientation vers les archives des AE est fort simple et n’est pas nouvelle : les archives de Vincennes pour la période de l’occupation sont très lacunaires, mais de nombreux documents militaires, pour diverses raisons, ont pu être conservés par les AE. A cette bourde, s’en ajoute une seconde : comment Buton peut-il s’étonner que le facteur international occupe pour cette période une telle place dans mon étude, alors que les militaires français, toutes tendances confondues, accordent, pour des motifs évidents, un rôle sans cesse croissant au facteur soviétique ?
Vient enfin la période de la Libération et de la fin de la guerre, plus longuement évoquée alors qu’elle n’occupe pourtant qu’un seul chapitre de l’ouvrage. Philippe Buton énumère alors une liste considérable de fonds militaires qu’il m’aurait fallu exploiter pour traiter correctement la question …… en un seul chapitre. Malheureusement, dans les archives militaires de cette période, le communisme apparait rarement en tant que tel pour toute une série de raisons, qui sont d’ailleurs exposées dans le livre. Il y a d’ailleurs quelques naïvetés de s’imaginer, quelle que soit la période considérée, qu’il suffirait d’explorer la masse archivistique des multiples états-majors pour y découvrir des sources concernant le communisme.
Plus intéressant est le passage faisant référence à deux excellentes thèses récemment publiées, celle de Claire Miot en 2021 et celle de Stéphane Weiss en 2022, que j’aurais, semble-t-il, ignorées. J’ai achevé la rédaction du livre fin 2020, mais je connaissais la thèse de Weiss, que je cite quatre fois et donne en références dans pas moins de 23 notes du dernier chapitre. Au sujet de l’armée et du communisme, mes conclusions concordent d’ailleurs avec le contenu de ces deux travaux importants. En particulier, ces deux auteurs ne repèrent pas sur le terrain militaire compliqué et mouvant de cette période d’indices d’une stratégie communiste de prise du pouvoir.
En matière de communisme, l’ouvrage s’attache particulièrement à suivre l’évolution de la politique militaire du PCF, sujet neuf, qui domine d’ailleurs sa politique générale au moins dans la période été 1943-été 1944. Mais cette démarche n’intéresse nullement Philippe Buton qui l’ignore totalement pour s’attarder seulement sur deux moments, la drôle de guerre et la Libération, à propos de questions pourtant anciennes. Concernant le premier, à propos d’un simple sous-titre « l’antimilitarisme introuvable », Buton affirme que les archives communistes ont été négligées et que l’ouvrage « reprend à son compte la quasi-totalité des analyses de l’historiographie officielle communiste », mais sans citer d’exemples ou d’auteurs. Une fois encore, une lecture plus attentive aurait évité un contresens : ce sous-titre ne concerne pas l’étude des menées communistes dans l’armée ou contre la Défense nationale, une étude déjà faite il y a plusieurs décennies, principalement par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, mais il annonce l’évaluation faite par les services compétents et par le haut commandement de l’activité communiste dans les régiments et les entreprises d’armements. De plus, sur le plan historiographique, la politique et l’activité communistes de cette période ont été largement étudiées et l’influence alors très limitée du PCF excluait de s’attarder sur ce point. Le chapitre s’appuie donc sur ces acquis historiographiques : concernant les seuls communistes français, 17 auteurs sont donnés au moins une fois en référence, le plus mentionné étant Jean-Louis Crémieux Brilhac (4 citations, 8 références) ; sur la politique soviétique, 4 auteurs sont mentionnés. Au total, deux auteurs communistes, étiquetés comme tels dans le livre, sont cités p. 78, l’un deux faisant d’ailleurs l’objet d’une note guère élogieuse. En conséquence, sa définition personnelle et extensive de « l’historiographie officielle communiste » aurait mérité d’être explicitée par Philippe Buton.
En conclusion de la recension, l’auteur défend sa thèse, datant du début des années 1990, d’une volonté de prise du pouvoir par le PCF à la Libération. Dans l’introduction de l’ouvrage, une note précise (p. 22, n. 15) que cette thèse n’est plus soutenable pour toute une série de raisons. En particulier, dans le fonds d’archives du secrétariat du PCF, noyau dirigeant de l’appareil communiste dans la France occupée, il n’existe pas le moindre indice de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une stratégie de prise du pouvoir pour la période printemps 1943-été 1944. Ce fonds d’archives inédit, qui m’a été signalé par Eric Lafon, contient des documents d’un intérêt majeur, mais Philippe Buton le mentionne très vite puisqu’il se réduirait, selon lui, à deux simples dossiers. Il aurait été plus prudent de les consulter avant de prononcer ce jugement lapidaire et dédaigneux, puisque ces deux dossiers contiennent plusieurs centaines de documents. Ce fonds nous révèle les préoccupations profondes des dirigeants communistes, certaines priorités qui peuvent être inattendues et, à l’inverse, relativisent des enjeux qui paraissaient a priori essentiels. Dans tous les cas, on n’y trouve trace d’un triomphalisme politique et révolutionnaire suscité par le contexte militaire et social de la période. Ainsi avance la recherche grâce aux nouveaux matériaux qui l’alimentent. Il appartient aux chercheurs de les faire connaître, au prix parfois d’une remise en cause de leurs certitudes et des conclusions qu’ils ont pu produire en son temps.