Louis Baldasseroni, Pavages, garages, dallages. La rue vue de Lyon, XIXe-XXe siècles.
Paris, Éditions de la Sorbonne, « Mobilités et Sociétés », 2023, 172 p.
Étant donné la spécialité de son auteur – l’histoire des transports urbains et des rues –, l’ouvrage de Louis Baldasseroni, maître de conférence en histoire contemporaine à l’Université de Nîmes, prend logiquement place dans la collection « Mobilités et Sociétés » dirigée par Mathieu Flonneau et Arnaud Passalacqua aux Éditions de la Sorbonne. Selon une analyse strictement chronologique, il s’agit de tracer l’évolution de la morphologie des rues et de leurs usages, depuis deux siècles, principalement à travers l’exemple lyonnais. L’analyse repose sur un postulat initial : « Loin d’être un espace neutre, la rue est aménagée en fonction de jeux de pouvoir qui dépassent souvent les considérations techniques ou financières » (p. 14). Des jeux de pouvoir concernant surtout la répartition des responsabilités entre l’État et les municipalités, notamment financières, qui se sont de plus en plus cristallisés sur la présence toujours plus prégnante de l’automobile dans les villes.
De ce point de vue, les années 1950 forment une rupture : jusqu’à cette époque, les rues n’étaient pas uniquement dédiées à la circulation ; elles formaient, avec les immeubles qui les bordaient, un ensemble organique caractéristique de l’urbanité. S’y trouvaient mêlés les groupes sociaux, leurs activités et habitudes autant que leurs mobilités. Les changements interviennent après la Première Guerre mondiale. C’est en effet dans les années 1920 que la circulation automobile prend une importance plus grande au détriment des habitants eux-mêmes, qui commencent à être perçus comme des freins, voire des obstacles, à la fluidité de la circulation. Cette perception est l’apanage des ingénieurs, nouveaux venus d’importance parmi les acteurs de la fabrication de la ville, au détriment par exemple des architectes voyers. Sous l’impulsion des premiers, les rues sont aménagées en fonction des automobiles, avec l’apparition des premiers feux tricolores aux carrefours très fréquentés, l’instauration d’un stationnement unilatéral et des passages piétons. Le mobilier urbain, dont l’histoire détaillée reste à faire, s’adapte à ces nouvelles conceptions de la ville. Ainsi, jusque dans les années 1970, voire 1980, règne le « tout automobile », avec l’aménagement des périphériques ainsi que la percée des autoroutes urbaines qui défigurent nombre de tissus urbains et dont le président Pompidou fut l’archétype du promoteur.
C’est alors que se dessine le mouvement du « retour à la rue », d’abord sous la forme de la piétonnisation des rues, initiative souvent venue des commerçants plutôt que des riverains ou des associations de défense de l’environnement. Le mouvement concerne la plupart des grandes villes européennes, s’étendant rapidement aux villes petites et moyennes. La rue du Gros-Horloge à Rouen, première rue piétonnisée en France, est inaugurée en 1970. Elle constitue la conséquence concrète la plus immédiatement visible de ces volontés de « retour à la rue », symbolisé notamment par la piétonnisation en septembre 1975 de la rue de la République à Lyon. C’est à partir de cette date que les « agences d’urbanisme et autres bureaux d’études externes prennent le pas sur les services techniques… pour penser l’aménagement des rues » (p. 140). Dans les années post-1968, les usagers sont moins vus comme des gêneurs et se dessine une aspiration à mieux saisir leur avis. Ce tournant culminera plus tard, dans le courant du siècle suivant, avec le remplacement du tout automobile par l’imposition du vélo.
La conclusion de cette étude précise et fouillée reste interrogative et en demi-teinte, l’auteur se demandant si finalement les manières de faire la rue ont vraiment changé depuis le milieu du XIXe siècle. Le fait que les réseaux viaires n’ont pas été globalement bouleversés depuis cette date en est-il une preuve suffisante ?
Danièle Voldman
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (28 novembre 2024). Louis Baldasseroni, Pavages, garages, dallages. La rue vue de Lyon, XIXe-XXe siècles. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12s6o