Nicolas Sueur, Une guérisseuse en France. Augustine Debaralle (1782-1818).
Tours, Presses universitaires François-Rabelais, « Perspectives historiques », 2024, 216 p. Préface de Michelle Zancarini-Fournel.
Dans cet ouvrage,préfacé par Michelle Zancarini-Fournel, Nicolas Sueur – agrégé, docteur en histoire et chercheur associé au LARHRA (Lyon) – se propose d’examiner le cas d’Augustine Debaralle (1782-1818), une guérisseuse à la recherche d’une reconnaissance officielle de ses talents au début du XIXe siècle dans le nord de la France. L’intérêt de cette étude est d’appréhender l’art médical par ses marges, à savoir les illégaux qui pratiquent la médecine à une période où la réglementation des professions de santé évolue. Augustine Debaralle fait aussi de son combat celui du sexe féminin face à l’ordre masculin, ce qui en fait un cas particulièrement intéressant pour discuter les questions de domination et d’exclusion dans le monde médical.
Cette figure n’est toutefois pas inconnue des chercheurs, puisqu’elle a déjà fait l’objet d’un article de l’historienne américaine Morag Martin en 2014. Nicolas Sueur a repris les rares sources émanant d’Augustine Debaralle – un livre, une vingtaine de feuillets consacrés à ses demandes de légitimation et des imprimés à caractère publicitaire – ainsi que les rapports de l’Académie de médecine et des autorités sur son cas. Il a également repéré des sources nouvelles qui, sans rien révéler de très nouveau sur la vie de la guérisseuse, permettent néanmoins de la replacer dans le contexte médical local à une époque charnière entre Ancien Régime et Empire. Le caractère lacunaire des sources et l’absence de récit personnel d’Augustine Debaralle interdisent à Nicolas Sueur de faire une biographie conventionnelle. Sa démarche s’inscrit dans la lignée des travaux consacrés à des personnages atypiques ou secondaires, tel le sabotier Louis-François Pinagot, dont l’existence a été exhumée par Alain Corbin. Il relève aussi d’une histoire, désormais bien renouvelée, de la médecine populaire, des empiriques et des illégaux (travaux d’O. Faure et M. Ramsey, notamment) et des femmes soignantes (N. Sage Pranchère, C. Fredj, etc.), avec la volonté de redonner son identité et sa dignité à une figure féminine du peuple.
Les huit chapitres suivent une démarche cohérente, qui mêle aspects chronologiques et thématiques. Le premier est consacré aux origines familiales et au milieu social d’Augustine Debaralle, car son parcours, de sa naissance en 1782 à Valenciennes à son entrée comme élève sage-femme à l’Hospice de la Maternité de Paris vers 1804, reste inconnu. Elle est la cinquième enfant de parents marchands amidonniers alphabétisés, dans une région alors en plein essor industriel. Si la Révolution profite d’abord aux affaires familiales, des accusations de trafic de faux assignats valent aux parents d’Augustine Debaralle un séjour en prison et une confiscation des biens familiaux. On ne sait comment celle-ci a vécu cette période difficile et l’influence de celle-ci sur le fait de s’orienter vers le métier de sage-femme par nécessité de gagner sa vie. Il peut aussi s’agir d’un choix plus personnel lié à une volonté d’émancipation. Son profil social correspond en tout cas au milieu de recrutement habituel des élèves sages-femmes à cette époque.
Si le titre du chapitre 2 annonce traiter de la formation d’Augustine Debaralle, il n’en est guère question, car les dates précises de son séjour parisien et les critères qui l’ont fait choisir par les autorités préfectorales du Nord restent inconnus. Nicolas Sueur fait plutôt ici un panorama de l’évolution de la formation des sages-femmes entre la seconde moitié du XVIIIe siècle et le début du XIXe, dont l’objectif était de remédier à la mortalité maternelle et infantile, imputée notamment aux accoucheuses empiriques. Si l’histoire est bien connue, tant pour l’Hospice de la Maternité de Paris (S. Beauvalet) que pour la formation des sages-femmes dans les généralités puis les départements (N. Sage Pranchère), l’auteur a le mérite, grâce à de nombreux tableaux statistiques, de documenter précisément l’encadrement obstétrical dans le Nord à cette époque. Le département paraît ainsi sous-encadré en professionnels diplômés et, ne disposant pas d’école, il doit envoyer les élèves sages-femmes à Paris.
Le chapitre 3 est consacré à l’expérience d’Augustine Debaralle à la Maternité de Paris, vers 1804-1805. En réalité, on ne sait rien de son séjour si ce n’est qu’elle se fait chasser assez rapidement de l’institution. Nicolas Sueur passe en revue les différentes raisons qui auraient pu justifier son exclusion ; le niveau insuffisant n’étant pas un motif suffisant de renvoi, il évoque une possible infraction au règlement ou, plus probablement encore, une contestation de l’enseignement très paternaliste et étroitement borné prodigué alors aux sages-femmes. La jeune femme aurait ainsi tenu tête aux professeurs d’obstétrique, notamment le célèbre Jean-Louis Baudelocque.
Le chapitre suivant porte sur le bref traité qu’elle a publié en 1805 à compte d’auteur sur la circulation du sang du fœtus et de l’adulte. Si des femmes se sont déjà illustrées dans des ouvrages d’obstétrique, Nicolas Sueur voit ici une volonté d’affirmation de l’autrice, qui traite d’un domaine plus masculin, celui de la physiologie, et d’une question médicale pointue et débattue à cette époque. La publication de ce livre constitue peut-être une manière d’asseoir sa légitimité alors qu’elle vient d’être exclue de la Maternité. Les idées qu’elle y développe sont toutefois peu originales et assez proches des écrits de Baudelocque.
La revendication des compétences d’Augustine Debaralle ne se limite pas à la publication d’un livre ; le chapitre 5 s’intéresse en effet à sa pratique illégale de la médecine vers 1805-1806. Thérapeute itinérante, elle exerce surtout dans des marges urbaines situées entre le nord de la France et la Belgique, où l’encadrement médical est moindre. Sa clientèle disposerait pourtant d’une certaine aisance, ce qui semble contredire l’idée qu’elle opère dans des zones pauvres et moins dotées. Elle fait néanmoins l’objet en 1806 d’une plainte et de poursuites. Les lois de ventôse an XI (1803) imposent en effet l’obtention d’un diplôme pour exercer la médecine. La possibilité pour certains praticiens d’obtenir une reconnaissance de leurs capacités acquises sur le terrain pendant la période troublée de la Révolution et de l’Empire fait croire à Augustine Debaralle qu’elle pourrait obtenir le droit d’exercer son art. La médecine reste pourtant plus que jamais fermée aux femmes ; placée sous surveillance, la guérisseuse est même obligée d’interrompre son activité.
Les deux chapitres suivants sont particulièrement intéressants, car ils permettent de connaître les maux pour lesquels Augustine Debaralle revendique ses compétences, ainsi que les remèdes employés, ce qui est rarement le cas chez les guérisseurs, soucieux de préserver le secret de leurs pratiques. Ses écrits permettent ainsi de recenser une vingtaine de maladies, souvent chroniques, incurables ou non prises en charge par la médecine savante, pour lesquelles elle intervient. Beaucoup sont des maux du quotidien, douloureux et qui handicapent les individus dont le corps est l’outil de travail essentiel. La description qu’elle fait des maladies et les remèdes qu’elle emploie s’inscrivent dans la médecine et la pharmacopée de son temps, mais ils relèvent aussi de savoirs plus anciens où religion et magie ne s’opposent pas à l’art de guérir. L’importance des remèdes dans sa pratique l’incite à demander également une reconnaissance de ses talents dans ce domaine. Même si le soin par les plantes a longtemps été reconnu aux femmes, la loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) donne le monopole de la préparation et de la vente des médicaments aux pharmaciens, et Augustine Debaralle n’obtient pas davantage le droit de vendre ses remèdes que d’exercer la médecine.
Le dernier chapitre est consacré au conflit qui l’oppose à la faculté de médecine de Paris. Celle-ci statue en 1807 sur son cas et lui oppose une fin définitive de non-recevoir. Ce refus suscite sa colère, elle proteste dans plusieurs brochures en inscrivant son combat personnel dans une lutte plus globale en faveur du sexe féminin opprimé par les hommes, qui lui interdisent certaines professions. L’absence de reconnaissance de la médecine savante l’incite à chercher une issue du côté du verdict populaire et la conduit à dénoncer la brutalité et le danger de la médecine officielle, notamment la vaccination ou la section de la symphyse pubienne qui se développent à cette époque. Elle revendique pour sa part une médecine alternative moins douloureuse, à l’approche plus globale, mais sa croisade prend une « dimension très personnelle et de plus en plus paranoïaque », selon Nicolas Sueur. Dans l’épilogue, on apprend qu’Augustine Debaralle est emprisonnée vers 1812 – et cela n’est probablement pas la première fois. En 1813, après six ans de silence, elle envoie une ultime lettre à la justice où elle réclame un passeport officiel lui donnant le droit d’exercer la médecine. Ces derniers écrits traduisent une santé mentale nettement dégradée. Elle meurt le 19 avril 1818, insolvable et probablement isolée.
Cet ouvrage, court mais riche, s’achève sur un tableau des principales maladies soignées par Augustine Debaralle et sur une bibliographie synthétique où quelques références utiles sont cependant manquantes (sur les sages-femmes ou les sœurs soignantes, notamment). L’articulation entre le cas particulier d’Augustine Debaralle et le contexte plus général induit parfois quelques lourdeurs et l’auteur en est souvent réduit aux hypothèses par manque de sources sur son objet d’étude. La question des troubles psychologiques de la guérisseuse et de leurs conséquences éventuelles sur sa démarche reste également peu discutée. Nicolas Sueur a cependant le mérite, en retraçant l’histoire d’un échec, d’offrir une étude éclairante sur la place des femmes dans le monde professionnel de la médecine au début de l’époque contemporaine. En s’attachant à ce cas particulier, il révèle ce que la démarche d’Augustine Debaralle a d’atypique, mais aussi de commun avec les autres guérisseurs, ainsi que la porosité entre médecine savante et médecine populaire.
Emmanuelle Berthiaud
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (30 novembre 2024). Nicolas Sueur, Une guérisseuse en France. Augustine Debaralle (1782-1818). Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12sqq