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Amélie Puche, Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940).

Paris, L’Harmattan, « Prix scientifiques », 2022, 402 p. Préfaces de Jean-François Condette et Aude Fauvel.

Avant de nous plonger dans son ouvrage, il semble important de mentionner que l’historienne continue « sa conquête » de l’histoire des premières étudiantes. En effet, Amélie Puche est actuellement postdoctorante et directrice de recherche à l’Institut des humanités en médecine de Lausanne1. Ses recherches portent sur le parcours des premières femmes médecins en France et en Suisse, ainsi que leur apport à la médecine et au soin. Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940) est la publication de sa thèse, soutenue en 2020.

Dès l’introduction du livre, Amélie Puche pose plusieurs constats. Alors que les femmes représentent 58 % des étudiants de nos jours, elles ne sont que 30 % en sciences fondamentales et 27 % dans les formations d’ingénieurs. À travers une étude originale, celle des parcours des premières étudiantes ayant conquis l’université depuis la fin du XIXe siècle, l’auteure revient sur l’origine des liens entre la féminisation de l’enseignement supérieur en France, l’émancipation féminine et l’émergence d’un discours recouvrant à la fois la division biologique et sociale des sexes. Dans cet ouvrage, Amélie Puche couvre de manière équilibrée la période de la IIIe République, de 1870 – date à laquelle la jeune République commence sa réforme de l’enseignement – jusque 1940. Dans un souci de faisabilité, des limites quantitatives sont également posées : l’auteure privilégie l’étude des cinq grandes universités particulièrement féminisées durant la période ciblée : Paris, Grenoble, Lille, Lyon et Montpellier. Tout en regrettant la rareté des écrits d’étudiantes « égo-documents », l’ouvrage repose sur une solide documentation historiographique, ainsi que sur un corpus orignal composé d’archives, de manuscrits et de sources imprimées de l’époque. Amélie Puche mobilise le genre comme catégorie d’analyse, dans le sens où Joan Scott le définit : « Le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir » (p. 29). L’ouvrage est divisé en trois parties parfaitement chronologiques. Il commence par les premiers débats que l’intégration des femmes à l’université a suscités dans les milieux universitaires et médiatiques, puis aborde le vécu des étudiantes au sein des établissements, et enfin leur parcours professionnel.

Dans la première partie, intitulée « Les femmes à la conquête d’un monde hostile », Amélie Puche aborde les débats autour de l’admission des femmes dans les universités et détaille les phénomènes et les mécanismes qui en découlent. L’auteure commence par le décalage dans le parcours d’une étudiante, « inscrite » à l’université, sans pour autant être « admise » en cours. L’une des plus grandes qualités de l’ouvrage est l’approche multiscalaire. En effet, dès la première partie et tout au long de l’ouvrage, Amélie Puche compare province et capitale. Certains phénomènes sont ainsi mieux cernés, comme la présence en province des femmes comme auditrices libres dès la première moitié du XIXe siècle, facilitant ensuite leur admission précoce en cours (Montpellier admet les étudiantes dès 1868), contrairement aux universités parisiennes. Bien que dans la France de la seconde moitié du XIXe il n’existe pas de loi explicite interdisant aux femmes d’entreprendre des études supérieures, le périple « des premières inscrites » fut assez long. En retraçant le parcours de certaines d’entre elles, dont Madeleine Brès, Julie-Victoire Daubié et Sarmiza Bilcescu, Amélie Puche parvient à mettre en évidence les barrières et les portes que ces pionnières ont dû forcer afin d’accéder à l’université.

À travers ces premiers débats, c’est toute l’histoire de l’inégalité entre les sexes dans la société française que l’auteure met en évidence. En effet, en utilisant le choix des filières par les femmes comme outil d’analyse, Amélie Puche rappelle que celui-ci est inhérent à la « nature » supposée et à la place attendue des femmes dans la société, mais qu’il est également conditionné par la base scientifique limitée qu’elles ont reçue dans leur scolarité secondaire par rapport à leurs camarades masculins. Ici, la question de la formation secondaire des étrangères slaves et russes, qui sont largement présentes sur les bancs des universités françaises à l’époque, mériterait d’être approfondie. Le traitement du sujet se limite essentiellement au témoignage de Marie Sklodowska (Marie Curie), qui arrive tardivement dans l’ouvrage (p. 224).

Les facultés de médecine et de droit sont les premiers choix des étudiantes. Le soin, la patience, sont des qualités pensées comme appartenant naturellement au sexe féminin (p. 47). L’auteure montre que ce rapport entre cette nature féminine et le rôle attendu des femmes dans la société de l’époque n’est pas homogène et dépend de la classe sociale dont l’étudiante est issue. Les filières littéraires sont d’abord investies par les femmes de la classe bourgeoise qui n’ont pas besoin de travailler. Ici, il s’agit avant tout d’acquérir une culture générale afin de faire honneur à son époux lors des réceptions et pouvoir éduquer ses enfants. Enfin, Amélie Puche décortique le discours médicalisé justifiant l’incompatibilité entre femmes et études, selon lequel, lorsqu’il s’agit des femmes, « l’étude assèche les esprits et les âmes » (p. 128). « L’émotivité féminine », « hermétiques aux sciences car très sentimentales, non rationnelles », « très pédantes et névrosées », de « la folie » jusqu’au « suicide » : autant d’arguments infondés et de stéréotypes qui ont accompagné et accablé les premières femmes qui se sont lancées à la conquête de l’université française.

La deuxième partie de l’ouvrage, « Être étudiante sous la IIIe République », retrace le parcours des étudiantes à l’université. À partir de la première question : « Pourquoi faire des études quand on est une femme ? », Amélie Puche expose et analyse les raisons socio-économiques ou politiques pour lesquelles étudier constituait pour ces femmes un choix, voire une nécessité. À travers un travail minutieux effectué sur les dossiers d’inscriptions, la littérature et la presse, Amélie Puche distingue et met en rapport la nationalité des étudiantes (slaves, russes, anglaises et françaises), leurs attentes (diplôme comme remplacement de la dot, femmes bourgeoises souhaitant s’assurer en cas de perte de fortune…), mais aussi un combat féministe (la volonté pour certaines de mener des études pour lutter en faveur de la justice sociale) (p. 167-177). Aux difficultés liées au genre qui pèsent sur les épaules des étudiantes doivent être ajoutées celles provoquées par leur situation économique. Le choix de l’université, de travailler à côté de ses études (on assiste alors à l’émergence des étudiantes au pair) et de vivre seule ou chez ses parents sont des aspects qu’Amélie Puche distingue afin de mieux comprendre le quotidien des étudiantes de l’époque, montrant que celui-ci est très souvent fait de privations (p. 182). Le genre est toujours sous-jacent dans ces déterminants. L’autrice montre par exemple que, dans une famille nombreuse, on préfèrera donner une chance à un garçon pour faire des études, car il sera plus susceptible de trouver un travail ensuite. Une étudiante vivant chez ses parents doit participer aux obligations familiales et mondaines qui représentent une charge non négligeable (p. 194). Ces mêmes difficultés mènent les étudiantes à se rencontrer et à créer les premiers organes de solidarité purement féminins dans l’université, comme l’AGE (Association générale des étudiantes). En définitive, Amélie Puche nous rappelle que se frayer un chemin à l’université lorsqu’on est une femme ne représente pas seulement une lutte contre une institution, mais également contre un large panel d’individus : professeurs et camarades masculins, sociétés de médecins et chirurgiens des hôpitaux, famille, enfin ses propres convictions et croyances.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, « Le devenir des étudiantes », Amélie Puche interroge le parcours postuniversitaire des étudiantes. Le constat est tôt posé : la grande majorité des étudiantes aspirent à l’état matrimonial. Or, la figure de l’étudiante est très ambivalente dans la société française. En effet, les étudiantes subissent les préjugés faisant d’elles de mauvaises ménagères et épouses, ce qui met en danger leurs chances de trouver un époux. Ces femmes « sérieusement montées en graine » (p. 307) se retrouvent obligées de faire des choix. Amélie Puche constate qu’une majorité écrasante d’entre elles arrêtent de travailler après le mariage, elles obéissent aux normes : une femme doit se consacrer à son foyer. Ce cheminement est accentué par la difficulté à trouver des postes. Les patrons méfiants quant à la capacité intellectuelle féminine et un marché du travail encombré font d’elles les premières écartées. Les alternatives conciliant foyer et travail mènent souvent les femmes vers l’ombre. Les étudiantes se rangent en tant que collaboratrice de leur mari dans les cabinets. Elles peuvent ainsi aménager leur emploi du temps afin de s’occuper au mieux de leur foyer. Les combats des étudiantes associent leurs statuts de femmes actives et mères. Ainsi, les premières étudiantes avaient la lourde tâche de prouver qu’il est possible de concilier foyer et travail et devaient réussir cette « double vie ». Les moments cruciaux, notamment la Première Guerre mondiale, sont opportuns pour les femmes diplômées, par exemple en médecine, dans le domaine juridique ou de l’enseignement. Les femmes se montrent aptes à remplacer les hommes, mais leur capacité n’est jamais jugée suffisante pour les postes prestigieux d’encadrement, car elles manquent « des qualités masculines qui sont attendues : maîtrise des propos, rigueur et autorité » (p. 356). Le reste du livre se concentre sur les trajectoires de pionnières dans le professorat universitaire, comme Marie Curie et Marie-Jeanne Durry.

Les femmes à la conquête de l’université comble une lacune historiographique majeure. Comme le précise l’auteure dans sa conclusion, cette histoire des premières femmes à l’université permet de mieux comprendre la répartition universitaire et professionnelle des étudiantes aujourd’hui en France. L’ouvrage d’Amélie Puche a également une importance particulière pour mieux comprendre l’éducation féminine dans les colonies françaises. En effet, la France de la IIIe République est la France du colonialisme. Même si l’auteure précise dans l’introduction qu’il s’agit de l’histoire de l’Hexagone et laisse de côté les réalités coloniales, il est évident que les professeurs français reproduisent dans certaines colonies le même chemin qu’en métropole, en doublant la stigmatisation des femmes par une vision raciale. Dans le même ordre d’idées, une approche comparative plus développée sur l’accès des femmes aux universités dans les pays voisins aurait été appréciable. Néanmoins, l’ouvrage d’Amélie Puche reste une précieuse référence sur l’étude sociohistorique des femmes et l’histoire de l’éducation en France.

Ali Alrifae


  1. Amélie Puche est postdoctorante au sein du projet MEFID : « Médecine féminine : une histoire des premières femmes médecins et de leur contribution à l’innovation médicale entre la Suisse francophone et la France, 1867-1939 », https://medif.hypotheses.org. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (21 décembre 2024). Amélie Puche, Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940). Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zl4


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