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Michel Choquart, Troyes & l’Aube, de la révolution de 1848 à l’assassinat de Jean Jaurès en 1914. Histoire sociale et politique. Tome 1 : 1848-1896.

Troyes, Éditions CEMOA, 2024, 400 p.

Cet ouvrage, intitulé Troyes & l’Aube, couvre la période de 1848 à 1914 et aborde plus spécifiquement l’émergence et l’affirmation des organisations ouvrières dans ce qui fut la « cathédrale européenne de la maille au XIXe et XXe siècle » et leur bascule, en quelques années, sous la IIIe République, du possibilisme au guesdisme. Il se divise en quatre-vingt-seize focus de trois à cinq pages, solidement étayés par les archives municipales et départementales, ainsi que par la presse locale, qui livrent, entre autres, au lecteur de larges extraits ou parfois l’intégralité de documents d’un grand intérêt – ne relevant en rien d’une « départementalisation de l’histoire de France », en son temps décriée par Jacques Rougerie, ni d’une histoire bataille, quelques séquences électorales exceptées.

Un de ses premiers intérêts est d’analyser comment s’opère la circulation des idées ou l’incidence de l’événement entre la capitale, dont l’histoire est rappelée en arrière-plan, et ce département éloigné de quelque 180 km : depuis la malle-poste attendue avec impatience au début du siècle jusqu’aux meetings animés par des dirigeants nationaux de premier plan, en passant par l’affichage administratif, la presse locale ou la remise des drapeaux aux gardes nationaux par Napoléon III. Cet ouvrage analyse également comment s’opère, également, l’appropriation des ruptures politiques initiées au-delà : premières élections au suffrage universel, fermeture des ateliers nationaux, chute de l’Empire… Ou, a contrario, comment la bataille sanglante des élections de la garde nationale à Troyes, les 9 et 10 avril 1848, se révèle annonciatrice des renversements politiques qui vont se déployer à Paris.

En 1996, Raymond Huard publiait aux Presses de Sciences Po La Naissance du parti politique en France en soulignant, en premier lieu, le rôle structurant de la presse. Le choix des focus opéré par Michel Choquart pourrait s’apparenter à cette démarche. En effet, il s’attache aux épisodes de l’histoire complexe de la presse locale, comprise comme un « organisateur des masses », en nous autorisant d’une formule qui lui est étrangère, mais également à l’émergence de toutes ces formes de construction du collectif que sont les banquets, les grèves encore interdites, les premiers syndicats, un phalanstère, les comités ouvriers et cercles catholiques ouvriers, les bibliothèques… Il nous permet aussi de cheminer au travers de leurs sièges sociaux successifs, depuis les salles de café jusqu’à la Maison du peuple.

Un des intérêts majeurs de l’ouvrage tient à son approche anthropologique de la politique au quotidien via les fêtes, les marqueurs symboliques quand nul ne dispose encore de drapeau rouge, les premiers 1er Mai, la culture ouvrière qui s’exprime par les chants ou le théâtre socialiste de Pédron. Il tient également à l’attention portée à des pratiques qui, pour n’être pas exclusives à l’Aube, sont du moins spécifiques rapportées à la capitale ou aux pratiques dominantes. Il en est ainsi de cette forme de solidarité qu’est le travail bénévole des viticulteurs sur les parcelles de militants arrêtés et emprisonnés en 1851, toujours en vigueur en 1911, des anniversaires de la Commune célébrés le 18 mars, quand Paris préfère le crépuscule de l’hommage aux morts à l’aurore. Citons encore le choix d’une Maison du peuple, autorisant le lien parti, syndicat et coopérative dont se réclame la guesdiste, à l’heure où plusieurs dizaines de villes ont déjà fait celui, différent, de Bourse du travail.

L’indéniable empathie de l’auteur pour ses acteurs n’exclut en rien une profonde rigueur. Il convient d’ajouter la qualité éditoriale de ce très bel ouvrage, illustré de nombreux documents, dont des cartes postales rares. Le volume suivant est dès lors attendu.

Danielle Tartakowsky


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (25 janvier 2025). Michel Choquart, Troyes & l’Aube, de la révolution de 1848 à l’assassinat de Jean Jaurès en 1914. Histoire sociale et politique. Tome 1 : 1848-1896. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/135uv


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