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Bruno Bertherat, La femme nue de la rue des Anglais. Enquête sur un crime non élucidé.

Grenoble, Éditions Jérôme Millon, « Mémoires du corps », 2024, 176 p.

Couverture de l'ouvrage, illustrée par le dessin d'une ruelle pavée, de nuit, un cadavre en travers de la chaussée

Qui est la jeune morte découverte au petit matin, le 7 mai 1806, rue des Anglais, dans l’actuel 5e arrondissement de Paris ? De quoi est-elle morte ? Pourquoi était-elle dénudée et avait-elle les mains liées ? Son corps semble avoir été conservé deux semaines en un lieu inconnu avant d’être abandonné sur la chaussée : où et pourquoi ? La femme nue de la rue des Anglais, un titre que n’aurait pas renié le Léo Malet des Nouveaux Mystères de Paris, s’achève sans résolution : malgré un patient et minutieux travail de recherche dans les archives, Bruno Bertherat ne peut répondre à aucune de ces questions et ce « cold case » du Paris impérial demeure et demeurera irrésolu, comme bien d’autres.

Les certitudes manquent mais les hypothèses foisonnent de la part de l’auteur, qui enquête dans le Paris compris entre l’église Sainte-Geneviève (le Panthéon, devenu nécropole nationale en 1791 et qui, en 1806, vient d’être rendu au culte catholique), l’île de la Cité, où se situe alors la morgue, et l’École de médecine, en passant par les rues, ruelles, venelles de ce qui est encore le 12e arrondissement d’un Paris pré-haussmannien dont quelques éléments de la voirie demeurent aujourd’hui.

En cherchant à retracer le destin de la jeune femme, Bruno Bertherat, historien spécialiste de la mort comme fait social, politique, culturel, mais aussi urbain1, explore ce territoire du Paris miséreux et laborieux, puisqu’il s’agit de comprendre pourquoi le cadavre a pu être déposé à cet endroit, dans la nuit qui a alors – Simone Delattre l’avait montré2 – des aspects qu’elle n’a plus quelques décennies plus tard. Il s’agit également du Paris des carabins, des apprentis médecins, qui cherchent des cadavres, beaucoup de cadavres, pour se faire la main, dans l’amphithéâtre de l’École de médecine mais aussi la dizaine d’amphithéâtres de dissection privée disséminée dans le Quartier latin3.

Grâce à différentes sources, dont le cahier d’illustrations permet de se faire une idée, l’historien ausculte la violence de la ville, envers les hommes, envers les femmes, mais aussi le Paris d’une police qui se réorganise et traque une criminalité que cherche à cacher le pouvoir.

En trois chapitres, l’enquête s’intéresse ainsi au lieu du crime, aux procédures qui ont dû avoir lieu, enfin à la victime dont on ne sait rien, si ce n’est la vingtaine de lignes du rapport de police qui a permis à Bruno Bertherat de connaître son existence. Meurtre ? Accident ? Personne ne le saura jamais, car la jeune femme, exposée à la morgue, n’a pas été identifiée alors que le corps est intact. Intact, mais nu, et le vêtement est alors un élément essentiel d’identification. Elle ne semble pas non plus être du quartier, sinon, le voisinage l’aurait peut-être reconnue.

Le « maigre tombeau de papier » (p. 162) érigé pour la femme morte de la rue des Anglais ouvre au lecteur la porte d’une histoire du crime, de la police mais aussi de la ville et des sociabilités qu’elle secrète. Il propose également un regard et une méthode sur les sources et leur exploitation, leurs lacunes, leurs impasses, mais aussi les possibles qu’elles font envisager à l’historien.

Claire Fredj


  1. Bruno Bertherat, « La morgue de Paris au XIXe siècle (1804-1907) : les origines de l’institut médico-légal ou les métamorphoses de la machine », thèse d’histoire, dir. Alain Corbin, Université Paris 1, 2002 ; Bruno Bertherat, Christian Chevandier, Paris dernier voyage : histoire des pompes funèbres, XIXe-XXe siècles, Paris, La Découverte, 2008. ↩︎
  2. Simone Delattre, Les douze heures noires : la nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000. ↩︎
  3. Sur ces aspects Anne Carol, Les médecins et la mort : XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 2004. Pour une mise au point récente de l’importance de cette économie du cadavre, voir Martin Robert, Cette science nécessaire : Dissections humaines et profession médicale au Québec, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2023 ↩︎

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (7 février 2025). Bruno Bertherat, La femme nue de la rue des Anglais. Enquête sur un crime non élucidé. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13a7c


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