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Jean-Charles Szurek, avec la collaboration d’Anne Halbwachs, Monique Halpern et Jerzy Toruńczyk, Gabriel Ersler. Des Brigades internationales aux prisons soviétiques, l’autre Orchestre Rouge.

Paris, Hermann, 2023, 624 p.

Juif polonais, Gabriel Ersler (1913-2005), à la fin de ses études de médecine en Allemagne et en Suisse, s’engage au cours de la guerre civile espagnole aux côtés des républicains, dans le cadre des Brigades internationales. Il connaît ensuite la Retirada, les camps de réfugiés français du sud de la France ; quand éclate la guerre mondiale, il rejoint l’armée polonaise du général Sikorski puis, après l’armistice, rallie le consulat soviétique à Vichy jusqu’à ce que l’attaque allemande sur l’URSS ne lui fasse rejoindre la Résistance. Par l’Espagne, il gagne le consulat soviétique d’Alger puis Moscou en 1944. Il passe ensuite plusieurs années dans les prisons de Staline. Enfin, en octobre 1956, il rejoint ce qui ressemble le plus pour lui à une patrie, la Pologne, qu’il avait quittée à 17 ans sans intention d’y revenir. La campagne antisémite orchestrée par le régime l’amène à quitter une seconde fois son pays natal, pour Israël puis pour l’Allemagne, où il meurt en 2005.

Ces quelques lignes ne peuvent évidemment traduire l’extraordinaire trajectoire d’un homme qui, né dans une famille sioniste, a forgé sa conscience politique d’abord dans le combat antifasciste puis dans le communisme, auquel il adhère en Espagne sous l’influence de ses camarades et au nom duquel il devient un agent de renseignement du NKVD. Ce communisme, il ne le connaîtra ni dans le socialisme qu’il subit en URSS ni dans celui qu’il vit dans la République populaire de Pologne, quand il y retourne en 1956, convaincu qu’il s’agissait toujours du « système de l’avenir » (p. 588).

Fils d’Aleksander Szurek (1907-1978), volontaire des Brigades internationales qui rencontre Gabriel Ersler durant la guerre d’Espagne et dont il est resté proche, le sociologue Jean-Charles Szurek publie ce récit dont le cœur est constitué de trois longs entretiens réalisés en 1985, 1986 et 1987, inédits jusqu’alors, annotés et complétés de commentaires historiques et témoignages connexes concernant certains brigadistes, résistants, alliés de Ersler, comme Francis Halbwachs ou Jadwiga Kanner-Wełykanowicz et son compagnon, Henryk Toruńczyk, le dernier commandant de la brigade Dombrowski.

Six parties organisent l’ouvrage, qui commence par l’année 1944, quand Gabriel Ersler rallie l’URSS, qu’il considère désormais comme la « Terre promise après quelques années de scepticisme » (p. 71). La suite du récit est chronologique : rallier l’Espagne, le bataillon Dombrowski de la XIIIe brigade des Brigades internationales, majoritairement formé de Polonais – et parmi eux, de nombreux juifs, qu’il avait tenté de recenser dans un article de 20041 –, être médecin de bataillon, le quotidien de la guerre, le cosmopolitisme des brigades, la conversion au communisme qui ne peut se comprendre sans le combat antifasciste… Cette période de sa vie a aussi fait l’objet d’un entretien filmé un mois avant sa mort par Rosa Olmos2, à l’occasion du traitement des photographies prises en Espagne entre 1937 et 1939 et déposées aux archives de la BDIC – devenue La Contemporaine.

Après la débâcle de 1940, le texte décrit son activité comme agent de renseignement soviétique et comme chef de réseau dans la Résistance : les actions, la vie quotidienne dans la clandestinité de nombre de ces ressortissants d’Europe de l’Est, les risques, les arrestations. Ce sont aussi des portraits de camarades, anciens volontaires des Brigades internationales souvent, que brosse Gabriel Ersler, qui insiste par exemple sur leurs capacités d’adaptation linguistique…

Il est ensuite question du départ pour Alger, puis pour Moscou, où il est arrêté en février 1945. Accusé d’être un agent britannique, il passe neuf ans en prison, essentiellement à Vladimir, où sont internés nombre d’étrangers, notamment des Coréens et des Japonais. Il décrit ses conditions de détention, les liens aussi qui se créent dans l’univers pénitentiaire. Libéré en 1954, il s’installe en Pologne, où il devient chef du département sanitaire de la Croix-Rouge de Varsovie. N’ayant pas exercé la médecine depuis longtemps, il repasse des examens et se spécialise en ophtalmologie. Le récit s’arrête en 1968.

En revenant sur des événements qui se sont déroulés entre vingt et cinquante ans auparavant, Ersler relate et analyse les ressorts d’un engagement politique, la constitution de réseaux de solidarités et les destins divers de leurs nombreux acteurs, dans l’ensemble unis par un même idéal.

Claire Fredj


  1. Gabriel Ersler, « Polonais d’origine juive volontaires de la guerre civile en Espagne (1936-1939) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 73, 2004, p. 44-48. ↩︎
  2. Rosa Olmos, Gabriel Ersler, portrait d’un brigadiste, BDIC, 2008. ↩︎

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (9 mars 2025). Jean-Charles Szurek, avec la collaboration d’Anne Halbwachs, Monique Halpern et Jerzy Toruńczyk, Gabriel Ersler. Des Brigades internationales aux prisons soviétiques, l’autre Orchestre Rouge. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 26 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13frw


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