Thibault Tellier, Histoire de la banlieue.
Paris, Perrin, 2024, 394 p.
Dédié à la mémoire de Samuel Paty et de Dominique Bernard, tous deux assassinés pour avoir fait leur métier d’enseignants, l’ouvrage se donne pour but de « faire l’histoire d’un objet sans qualité particulière et somme toute banal, une masse territoriale aux contours incertains ». Des contours incertains, mais denses qui ne facilitent pas leur histoire diverse et plurielle. Plutôt qu’essayer d’en appréhender toutes les facettes, Thibault Tellier se limite à une seule, fondamentale à ses yeux. Ainsi, en partant du début du XXe siècle pour aller jusqu’à nos jours, il met l’accent sur « la manière dont les pouvoirs publics ont accompagné […] le développement des territoires périphériques ainsi que ses capacités de développement propres ». C’est donc avant l’évolution et les fluctuations des politiques publiques vis-à-vis des zones périphériques des centres-villes qui sont analysées ici de façon chronologique. Sans s’attarder sur une étude interne de la banlieue, sa « diversité urbanistique » est largement mise en avant. De même, malgré l’importance, par rapport à l’ensemble du pays, de la banlieue parisienne – tant du point de vue morphologique que politique, économique ou démographique –, l’auteur ne néglige jamais de rappeler que toutes les villes de quelque ampleur ont été et sont entourées de zones de banlieue, à travers tout le pays.
Le récit s’ouvre sur la période qui couvre la première moitié du XXe siècle, ce moment où coexistèrent le développement industriel et la constitution des périphéries vertes, dans ces zones où une partie de la population cherchait l’air pur et l’éloignement des méfaits de l’urbanisation. C’est aussi le temps des deux grandes lois de 1928 (Sarraut et Loucheur), la première sur la question des lotissements défectueux, la seconde sur l’aide à la création de logements sociaux. Malgré la présence importante de « banlieues vertes », la réalité et la perception de la banlieue industrielle, terre ouvrière et d’immigration, y sont restées prédominantes. La guerre de 1914, notamment, joua un rôle décisif dans l’implantation de nouvelles usines dans les banlieues parisiennes et lyonnaises. Dans ce nouveau monde urbain, l’immigration d’une main-d’œuvre extérieure, provinciale puis étrangère, fut un facteur déterminant de son identité. Terres ouvrières et socialistes, elles ont été un problème d’action publique dont le logement a été un élément déterminant. Avec un autre élément tout aussi déterminant, l’affirmation d’une identité politique propre et spécifique, où s’affirmait l’idée de territoires comme bancs d’essai et laboratoires d’une certaine modernité, à la fois politique, culturelle et urbanistique.
Pourtant, progressivement à partir des années 1950, les banlieues s’affirment comme un épicentre des peurs urbaines. C’est en partie pour cette raison que l’intervention publique change de registre pour se concentrer sur un aménagement raisonné du territoire, symbolisé en 1963 par la création de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) et l’important programme de construction des grands ensembles. Ainsi, Sarcelles et ses vastes unités d’habitations deviennent le signe d’une étape majeure de l’histoire de la banlieue, avec ses points forts, les nouveaux logements, et ses faiblesses, le manque d’équipements et d’emplois. Ces lacunes menant à la réorientation majeure des politiques publiques de 1973, avec l’arrêt de la construction des grands ensembles et le lancement des villes nouvelles.
L’auteur insiste ensuite sur la fin du XXe siècle, période pendant laquelle les banlieues subissent un rejet important, alimenté par une série de faits divers tragiques et de violences, « qui connaîtront un point de non-retour lors des émeutes de 2005 », changement de paradigme dans l’histoire de la banlieue. Ce qui lui permet de conclure en s’interrogeant sur l’éventuelle fin de l’exception ancienne banlieusarde au commencement du siècle suivant, avec, sur fond de désindustrialisation, le passage des banlieues ouvrières aux banlieues populaires.
Objet divers et complexe, difficile à saisir sur le plan historique, la banlieue, à la fois terre de relégation et d’innovation sociale, n’en finit pas de questionner les pouvoirs publics, municipaux et nationaux. Pourquoi et comment intervenir dans des territoires de plus en plus censés être les réceptacles de problèmes sociaux et économiques du pays, ou du moins souvent sentis comme tels, réfractaires à leur transformation par l’aide publique ? Par son étude minutieuse, l’auteur nous en donne quelques éléments de réponse.
Danièle Voldman
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (6 juin 2025). Thibault Tellier, Histoire de la banlieue. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/142nk


