Alexandre Dupont (dir.), « Nous nous en allons aux cyclones ». Anthologie d’écrits de femmes exilées au XIXe siècle.
Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, « Écrits de femmes », 2024, 580 p.
L’histoire de ce livre est d’abord celle d’une idée puis d’une mise en pratique, toutes deux provenant d’Alexandre Dupont, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg, qui a voulu sortir des sentiers battus du séminaire de master en proposant à ses étudiants, pendant deux années universitaires (2020-2021 et 2021-2022), une recherche collective dont l’ouvrage « Nous nous en allons aux cyclones ». Anthologie d’écrits de femmes exilées au XIXe siècle est le fruit.
Transformer un séminaire de master en un ouvrage était en soi un redoutable pari. Si la pratique pédagogique doit déjà être saluée, le résultat est remarquable et mérite à plus d’un titre qu’on s’y arrête. En premier lieu, la publication d’anthologie, négligée en histoire contemporaine depuis plusieurs décennies, fait ici un retour tout à fait pertinent. Alexandre Dupont ne fait pas mystère du fait qu’il en a eu l’idée à la lecture de l’ouvrage publié par Julie Le Gac et Fabrice Virgili (dir.), L’Europe des Femmes, XVIIIe XXIe siècle. Recueil pour une histoire du genre, paru en 2017 chez Perrin. S’appuyant sur ce modèle qui présentait des textes écrits par des femmes sur des thématiques communes et traduit dans une grande pluralité de langues, Alexandre Dupont a tout d’abord établi un corpus de sources du for privé disponibles sur les exils au féminin au XIXe siècle. Il est l’un des spécialistes de la question et ceci lui a permis d’établir ce riche éventail chronologique, mais aussi politique, qui va des émigrées de la Révolution française à Clara Zetkin en passant par Emma Goldman. Le titre – un peu énigmatique – de l’ouvrage est lui-même emprunté à un poème de Louise Michel, que l’on connaît certes pour ses écrits en Nouvelle-Calédonie, lieu de sa déportation après la Commune, ou à Londres, où elle réside longtemps, mais moins comme poétesse.
La question de l’exil vécu et vu par les femmes a été d’une part au cœur des recherches récentes sur les femmes dans les mouvements carlistes développées par Alexandre Dupont, d’autre part est inspirée des rencontres et publications auxquelles il a participé avec d’autres spécialistes de la question, réunis dans l’équipe dirigée par Delphine Diaz, et d’autres chercheurs et chercheuses comme Romy Sanchez et Antonin Durand. Les étudiants et étudiantes qui sont les auteur·es des notices et de l’introduction ont ensuite sélectionné, parfois traduit puis présenté des extraits d’ouvrages publiés par des femmes de dix nationalités différentes sur un large spectre temporel, allant de la Révolution française à l’année 1917. Le manuscrit offre ainsi aux lectrices et lecteurs une grande diversité d’autrices et de figures féminines connues, comme Jenny Marx ou Louise Michel, mais aussi de femmes plus obscures ou anonymes. Certains textes sont inédits, comme celui de Victorine Brocher proposé par Lola Romieux, retrouvé dans les archives de l’IISG à Amsterdam. Les étudiants ont aussi fait le choix d’une grande diversité de documents : lettres, correspondances, poèmes, on l’a dit, voire extraits d’ouvrages de fiction, tel Hans Abeles, l’autobiographie posthume et à peine romancée écrite par Johanna Kinkel. L’ouvrage, par ses entrées thématiques, couvre tous les aspects de la question de l’exil, depuis le départ jusqu’au retour, traitant à la fois du politique, de l’intime, des enfants. L’annexe biographique est forte de trente pages de notices agrémentées de photographies ou gravures qui permettent de mieux connaître les plus inconnues d’entre elles, mais toujours dans la perspective de l’exil. On peut d’ailleurs saluer le choix des images qui accompagnent ces notices car elles tentent, quand cela est possible, de saisir ces femmes dans le temps de leur exil ; Clara Zetkin est ainsi présente sous les traits d’une jeune femme et non d’une imposante et austère oratrice. L’annexe bibliographique est de vingt-six pages. Elle donne un panorama à la fois très vaste et très actuel de la recherche concernant à la fois les figures célèbres et les exilées plus méconnues, comme l’allemande Mathilde Anneke, militante révolutionnaire à Cologne en 1847-1849 puis journaliste et figure de proue du mouvement féministe des femmes américaines, ou la hongroise Suzannah Kossuth, moins connue que son célèbre frère, animatrice de la révolution de Budapest et exilée aux États-Unis. Les introductions et conclusions témoignent à la fois de la réalité de cet exil au féminin – s’il fallait encore le démontrer – mais soulignent aussi les spécificités de la mobilité féminine.
Cette anthologie est une excellente idée et une réalisation tout aussi remarquable. Ce livre très volumineux – 580 pages – devrait faire des émules dans d’autres domaines, permettant ainsi à d’autres étudiants de participer de façon tangible à la recherche et à la publication de travaux collectifs. Il devrait également susciter de nouvelles recherches s’appuyant de manière critique sur ces biographies et textes exhumés. Enfin, il invite à revenir sur ces témoignages, nombreux mais encore trop peu connus, et à encourager des entreprises de traduction pour les rendre accessibles. Puisqu’il faut toujours faire quelques critiques, on peut peut-être regretter que les textes soient parfois trop brefs et que les entrées thématiques, néanmoins très utiles, soient peut-être un peu trop nombreuses. Mais il s’agit ici, on l’aura compris, de broutilles qui n’enlèvent rien au plaisir de la lecture, qui peut se faire d’une traite mais aussi à l’aide des index et de la table des matières pour picorer dans l’ouvrage ou y trouver une entrée particulière.
Sylvie Aprile
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (19 juin 2025). Alexandre Dupont (dir.), « Nous nous en allons aux cyclones ». Anthologie d’écrits de femmes exilées au XIXe siècle. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/145kh


