Michel Aussel et Myriam Dufour-Maître, Floreska Guépin (1813-1889). Combats pour la liberté et l’instruction.
Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Archives du féminisme », 2025, 348 p.
Après sa remarquable biographie d’Ange Guépin (Le docteur Ange Guépin. Nantes, du saint-simonisme à la République, Presses universitaires de Rennes, 2016), Michel Aussel, en association avec Myriam Dufour-Maître, s’attaque cette fois à la redoutable question : cherchez la femme derrière le « grand » homme. Et, il faut bien le dire, cette biographie de Floreska Guépin nous apporte, s’il en était besoin, une nouvelle illustration de la pertinence de cette quête. Bien que largement invisibilisée de son vivant, et plus encore sans doute de façon posthume, par la renommée de son mari, elle méritait décidément que cette recherche soit menée à son terme.
L’entreprise n’allait pourtant pas de soi. Car des trente-cinq premières années de la vie de cette femme (née en 1813), on ignore quasiment tout, faute de sources. Seules des allusions indirectes ou ultérieures permettent de mettre en évidence une forte personnalité et un itinéraire en soi assez peu commun pour l’époque. Elle séjourne en Angleterre, où elle acquiert une maîtrise parfaite de la langue, se convertit au protestantisme (une foi qui servira de fil conducteur à ses engagements ultérieurs), noue des liens avec le mouvement antiesclavagiste international et, de retour en France, elle parvient par son travail à s’assurer les moyens de subvenir à ses besoins (et à ceux de sa famille). De 1846 à 1854, elle gère une pension dispensant à des jeunes filles un enseignement laïc, s’assurant ainsi bien avant sa rencontre avec le docteur (qu’elle éblouit par la vivacité de son intelligence) une autonomie financière qui lui permettra d’acquérir une belle position sociale.
À compter de son mariage tardif avec Ange Guépin en 1853 sur la base d’un accord des convictions, il devient plus facile de retracer son rôle réel. Son mari ayant tendance à pécher dans ce domaine, c’est elle qui se révèle être au sein du couple la véritable gestionnaire des comptes familiaux, tout en exerçant sur lui une influence politique aussi discrète que palpable (comme en témoignent l’évolution du docteur vis-à-vis des femmes ou encore sur la question de l’esclavagisme). Les deux époux partagent leurs lectures, échangent, débattent, et lorsque le mari fait son retour en politique à partir de 1864, il est discrètement mais efficacement secondé par Floreska.
Pour autant, cette dernière ne renonce pas à ses propres engagements militants. Républicaine et militante laïque convaincue, elle continue d’être active au sein du réseau antiesclavagiste transnational et vient même au féminisme par ses contacts avec les militantes anglo-saxonnes. C’est d’ailleurs là sans doute un des aspects les plus fascinants de ce livre, qui sait mettre clairement en évidence l’interpénétration des différents réseaux au sein desquels Floreska Guépin est active – regroupant protestants, républicains progressistes et parfois socialistes, pionnières de l’enseignement des filles, abolitionnistes, féministes – et montre bien la cohérence entre ses différents engagements.
Républicaine meurtrie par la défaite durant « l’année terrible », Floreska n’hésitera pas à apporter un soutien à plusieurs communards pourchassés – bien que n’ayant pas elle-même approuvé le mouvement parisien.
Aussitôt la paix civile revenue, elle va s’investir dans la mise en pratique d’un projet à l’évidence mûri de longue date. Prenant comme référence l’établissement fondé en 1862 par son ami Élisa Lemonnier, elle va s’attacher à créer à Nantes, où l’Église exerce alors un véritable monopole sur l’enseignement féminin, une école à même de proposer aux jeunes filles une éducation « supérieure » (c’est-à-dire allant au-delà du primaire), qui soit aussi par ailleurs laïque et professionnelle. Faisant jouer ses différents réseaux d’amitié pour mobiliser les fonds nécessaires, elle parvient à surmonter tous les obstacles : son école, qui tient lieu de véritable École primaire supérieure pour filles – tout en accueillant également des cours pour adultes – ouvre ses portes le 1er avril 1873 ; Floreska en préside le conseil d’administration. Le décès de son mari, survenu quelques semaines plus tard, ne diminuera en rien sa détermination à poursuivre l’œuvre initiée à deux et l’école connaîtra assez vite un réel succès. Elle sera finalement municipalisée en 1887 – Floreska a alors quitté Nantes pour s’installer à Paris –, avant de passer en 1895 sous la tutelle du ministère du Commerce pour devenir l’École pratique du commerce et de l’industrie de jeunes filles. Preuve que l’importance de son action a fini par être reconnue, il existe depuis 1907 à Nantes une médiathèque portant le nom de cette pionnière de l’enseignement des filles.
Au terme d’une vie d’engagement et de dévouement bien remplie, Floreska Guépin disparaît le 14 novembre 1889. Trop longtemps reléguée au statut de « femme de », on peut dire qu’elle trouve enfin avec ce livre passionnant, élégamment écrit et fourmillant de détails éclairants, la réhabilitation qui lui était largement due.
Michel Cordillot
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (1 juillet 2025). Michel Aussel et Myriam Dufour-Maître, Floreska Guépin (1813-1889). Combats pour la liberté et l’instruction. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/148zc


