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Anna Cabanel, Femmes de sciences. Le mouvement des university women dans l’entre-deux-guerres. – Marie-Élise Hunyadi, L’accès des femmes aux études universitaires. L’engagement de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (1919-1970).

Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2025, 248 p.

Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2024, 286 p.

Sont sortis en six mois (juillet 2024 et janvier 2025), aux Presses universitaires de Rennes, deux ouvrages historiques traitant de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (FIFDU).

Le premier en date est celui de Marie-Élise Hunyadi, docteure en sciences de l’éducation, maîtresse de conférences à l’Université catholique de l’Ouest. Le second est celui d’Anna Cabanel, docteure en histoire, post-doctorante spécialiste des réseaux académiques à l’Université KU Leuven. Chacun de ces livres constitue la somme d’années de travail doctoral, profondément remanié. Le choix de la FIFDU n’est pas complètement un hasard pour les auteures qui ont elles-mêmes mené leurs thèses de manière internationale, aussi bien en ce qui concerne les rattachements institutionnels que la dispersion des sources nécessitant de se déplacer dans plusieurs pays. Toutes deux ont relevé ce défi. Mais les similitudes s’arrêtent ici en ce qui concerne ces deux contributions à l’histoire de la FIFDU. En effet, ces deux livres proposent deux approches du sujet et des sources, ainsi que deux projets différents, se révélant par là extrêmement complémentaires.

Aussi, si Marie-Élise Hunyadi propose une période relativement longue, une cinquantaine d’années s’étendant de la création de la FIFDU jusque 1970, Anna Cabanel se concentre sur un laps de temps plus resserré, celui de l’entre-deux-guerres. Cette dernière propose d’explorer « le processus de fabrication et les vecteurs de promotion des university women » ainsi que de « mesurer les évolutions de leur persona scientifique au cours de la période » (p. 22). Elle s’attache donc à étudier l’intégration des diplômées dans le supérieur, les obstacles symboliques à la féminisation de la recherche et la construction de la figure de la chercheuse par la FIFDU, ainsi que la manière dont le réseau FIFDU et les outils mis en place par la fédération peuvent représenter un tremplin à cette intégration. Six chapitres thématiques, traitant de la construction de l’association, de la valorisation de ses dirigeantes comme figures modèles d’universitaires femmes, du programme de bourses, de la figure des boursières comme relève scientifique ou de la mise en scène des congrès, permettent cette plongée au cœur d’un des objectifs clés de la FIFDU. Marie-Élise Hunyadi en développe deux autres aspects essentiels : d’une part, la manière dont la fédération pousse les femmes à faire des études supérieures et les outils mis en place pour qu’elles puissent y parvenir, d’autre part le rôle de la FIFDU comme instance internationale, « les jeux de collaboration qui s’établissent entre la fédération et la multitude d’associations internationales, de femmes, d’étudiants et plus largement celles traitant d’éducation, gravitant autour des organisations internationales » (p. 14). Six chapitres thématico-chronologiques émaillent ce parcours intellectuel permettant d’aborder la construction de l’internationalisme revendiqué par la FIFDU, les différents outils mis en place pour le faire vivre, comme les bourses ou les bureaux de placement, et la position de pôle d’expertes scientifiques pour les instances internationales, d’abord la SDN, puis l’Unesco.

Couverture de l'ouvrage, illustrée par la photographie noir et blanc de l'auditoire d'une salle de conférence, remplie de femmes, prise en contre-plongée
EAN : 9782753594555

La FIFDU est créée au sortir de la Première Guerre mondiale afin de « sauvegarder la paix et d’œuvrer pour le pacifisme » (Cabanel, p. 33) tout en défendant les intérêts des femmes diplômées des universités. Elle est le fruit d’une rencontre, celle de Virginia Gildersleeve, Caroline Spurgeon et Rose Sidgwick, toutes trois universitaires, venant des États-Unis ou d’Angleterre où il existe déjà des associations d’anciennes étudiantes visant à défendre leurs droits, et mues par l’idée que les femmes doivent peser dans la construction d’une nouvelle société, pacifique. Pour elles, préserver la paix nécessite d’éduquer « à la compréhension internationale à travers l’amitié internationale » (Hunyadi, p. 48). Et elles se servent des arguments sur la nature féminine pour justifier la place centrale des femmes dans ce projet : si la gent féminine est plus empathique, elle est meilleure pour nouer des amitiés et les entretenir. Mais pour passer outre les conservatismes nationaux afin de développer une réelle compréhension d’une autre culture, il faut des femmes d’élite, pourvues d’un bagage académique, habituées à la science qui elle-même n’appartient à aucune nation. Ceci posé il leur faut se grouper pour s’imposer dans les milieux intellectuels, professionnels et politiques afin de peser dans les instances décisionnaires. Dès 1919, la FIFDU est fondée et ses dirigeantes se servent de leurs réseaux, informels, pour impulser un mouvement de création d’associations nationales qui se fédèrent ensuite à l’organe central.

Ceci lancé, la FIFDU met en place différents outils devant servir ses objectifs. Parmi les exemples présentés par Anna Cabanel ou Marie-Élise Hunyadi, nous n’en développerons qu’un seul ici, celui des bourses internationales. Celles-ci ont l’avantage d’avoir longuement retenu l’attention des deux auteures et elles illustrent parfaitement les différentes approches. En 1924, des bourses et un comité de sélection des boursières sont créés. Ces financements sont gérés par des femmes à destination de femmes désirant faire des recherches dans un pays étranger au leur. Elles sont à destination exclusive des membres de la FIFDU. Certaines sont réservées à de jeunes chercheuses, d’autres à des scientifiques confirmées cherchant à créer les conditions d’une reconnaissance (et embauche) de l’institution universitaire. Le comité est composé d’adhérentes de la fédération, scientifiques reconnues, considérées comme expertes de leur domaine. Ces bourses servent plusieurs objectifs de la FIFDU : l’internationalisme, l’encouragement des femmes à faire des études supérieures et la défense des intérêts des femmes scientifiques. C’est sur ce dernier aspect qu’Anna Cabanel s’est tout particulièrement penchée. Elle montre que le système mis en place par la FIFDU cherche à « promouvoir les femmes de science » (p. 121), avec un certain succès puisque l’obtention d’une bourse de la FIFDU représente un tremplin pour les carrières, notamment universitaires : « un séjour d’études à l’étranger accélère l’ouverture des portes du monde universitaire » (p. 178). Pour obtenir ce résultat, elle étudie tout le système d’attribution de bourses durant l’entre-deux-guerres : les demandes, la sélection, le rapport de la boursière et la suite de sa carrière. Le faible nombre de financements attribués sur la période permet cette étude approfondie. Ainsi, l’auteure prouve que les boursières sélectionnées sont celles qui répondent aux critères de la scientifique idéale. Souvent issues de milieux intellectuels, polyglottes, présentant un fort réseau de soutien, avec un sujet porteur, et, pour les chercheuses plus âgées, un certain nombre de publications dans des revues reconnues du champ, en diverses langues. Le voyage permet ensuite l’indépendance et le calme nécessaire pour terminer les travaux entrepris et s’insérer dans un réseau international, tremplin pour des postes académiques. Les critères financiers ne sont pas retenus dans l’entre-deux-guerres, les membres du comité cherchant avant tout à promouvoir des scientifiques modèles ayant une importante production afin de « faire progressivement disparaître la question du sexe comme marqueur ou gage de qualité scientifique » (p. 132), et prouver que les femmes peuvent réussir dans ce milieu pour inciter les jeunes filles à suivre leurs traces. Le rôle d’ambassadrices des boursières a été approfondi par Marie-Élise Hunyadi, mais comme représentantes d’une culture à la découverte d’une seconde pour nourrir l’internationalisme et le pacifisme de la FIFDU. Ainsi, bien que cela soit secondaire dans les critères d’attribution d’une bourse, le comité de sélection porte une attention aux qualités personnelles des candidates : des personnes avenantes, agréables, aux bonnes manières, sociables. Elles doivent être de bonnes ambassadrices de leur culture. Le voyage en lui-même sert à « provoquer des occasions de rencontre et de discussion » (p. 101), en intégrant la boursière dans un réseau scientifique nouveau. L’auteure s’intéresse surtout à leurs conditions de vie sur place, grâce à l’étude des rapports des boursières et aux sources de Reid Hall à Paris et Crosby Hall à Londres, deux clubs internationaux destinés, entre autres, aux séjours des boursières de la FIFDU. Ces lieux, confortables, offrent le cadre nécessaire au bon déroulé du voyage des boursières, propice au travail et à l’amitié : « ambiance à la fois paisible et studieuse, mais aussi joyeuse et amicale » (p. 130). De plus, des conférences y sont organisées afin de faire connaître la culture locale aux jeunes femmes qui y séjournent.

Cet exemple révèle la richesse et la complémentarité des deux ouvrages. Tous deux s’appuient sur des sources nombreuses et de nature variée, bien mises en regard. Ils permettent également de deviner l’importance des fonds d’archives liés à la FIFDU qui restent encore à explorer. Les deux auteures ouvrent là une porte dans laquelle d’autres recherches pourront s’engouffrer. L’appareil bibliographique est également important, proposant une ouverture internationale qu’il est important de noter. En outre, plusieurs tableaux et graphiques rendent de grands services et aident à la compréhension du propos. Ceux-ci se situent en annexe dans le livre de Marie-Élise Hunyadi et directement dans le corps du texte de celui d’Anna Cabanel. Ce dernier livre s’enrichit également de nombreuses images de nature différente, servant utilement les arguments de l’auteure et révélant l’importance de la symbolique développée par la FIFDU. En bref, ce sont deux beaux ouvrages, bien écrits et à l’apport historiographique indéniable. Et, je tiens à le souligner encore, loin d’être redondante, leur lecture conjointe s’avère riche d’enseignements complémentaires.

Amélie Puche

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (1 juillet 2025). Anna Cabanel, Femmes de sciences. Le mouvement des university women dans l’entre-deux-guerres. – Marie-Élise Hunyadi, L’accès des femmes aux études universitaires. L’engagement de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (1919-1970). Le carnet du Mouvement social. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/148zd


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