Clémence Cardon-Quint, L’argent de l’école. Histoire du budget de l’Éducation nationale depuis 1945.
Paris, Presses de Sciences Po, « Académique », 2025, 486 p.
L’ouvrage de Clémence Cardon-Quint résulte d’un impressionnant travail mené dans les archives des ministères de l’Éducation nationale et de l’Économie et des Finances, interprétées à travers le témoignage de dizaines de responsables des directions, services et bureaux concernés dans les deux ministères. Il constitue naturellement une contribution majeure à l’histoire de la prise de décision en éducation, mais intéresse aussi l’histoire du mouvement social, particulièrement dans la dimension ascensionnelle de ce mouvement, puisque l’image de « l’ascenseur social », qu’on le proclame ou non « en panne », est attachée à l’école et au rôle décisif qu’elle est censée jouer.
C’est le cas de quelques réformes majeures qu’a connues le système éducatif depuis 1945. Prolongation de la scolarité jusqu’à 16 ans en 1965 puis objectif de « 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac » en 1985, création du collège unique en 1975, instauration des zones d’éducation prioritaire en 1981, diverses mesures destinées à favoriser l’inclusivité et la « mixité sociale », figurent parmi les réformes ou innovations, budgétairement coûteuses, mais destinées à contrevenir à la simple reproduction sociale et contribuer à la mobilité individuellement et collectivement ascendante de la société. D’une façon beaucoup plus récurrente, c’est aussi le cas des innombrables décisions touchant au recrutement, à la rémunération et aux obligations de service des enseignants de tous statuts : les intérêts des enseignants sont censés concourir à la réussite scolaire, donc sociale, de tous les élèves, puisqu’« ils sont, plus que quiconque, les artisans de notre avenir », selon l’argumentaire de Laurent Fabius en 1985 (p. 382).
Clémence Cardon-Quint situe bien sûr toutes ces mesures dans les divers contextes où elles ont été prises : succession de booms et chutes de la natalité déterminant l’importance des effectifs à scolariser, haute ou basse conjoncture économique, concurrence de l’Éducation nationale avec d’autres priorités budgétaires. La conjoncture politique importe naturellement, et l’auteure situe bien quelques priorités éducatives des périodes gaullienne, giscardienne ou mitterrandienne. Mais l’originalité du livre est d’aller au-delà des affichages politiques, où l’École est rarement jugée autrement que comme « prioritaire », et où le budget de l’Éducation nationale, rapporté en pourcentage au PIB de la France ou au budget total de l’État, n’est guère qu’« une abstraction efficace pour dénoncer l’insuffisance des crédits ou se targuer des efforts accomplis » (p. 93).
L’ouvrage s’attache donc à analyser la façon dont s’est « fabriqué » le budget de l’Éducation nationale depuis 1945, par affrontement de considérations techniques et d’affichages politiques, dans un contexte de débat public où l’Éducation, certes toujours « prioritaire », décline ses priorités différemment selon les moments et les divers acteurs concernés, syndicats, partis, associations et leurs relais dans les administrations nationales ou locales. Analysés au niveau des bureaux ministériels et des commissions parlementaires, les arbitrages, que l’auteure situe entre polyphonie et cacophonie, « jettent une lumière crue sur ce que les responsables politiques et les hauts fonctionnaires retiennent concrètement du corpus d’idées et de représentations à leur disposition » (p. 22).
Entre les idées et les représentations prennent normalement place les savoirs sociologiques, économiques, pédagogiques et, pourquoi pas, historiques, susceptibles d’attester un rapport causal entre telle ou telle nouvelle dépense éducative et la réussite scolaire, donc en principe sociale, à moyen ou long terme, des élèves. Mais, à lire l’auteure, on doute que l’efficience de telles dépenses soit démontrable, dans un ministère de la taille et de la complexité de l’Éducation nationale, qui a d’ailleurs peu l’habitude d’anticiper précisément le coût budgétaire des décisions qu’il prend, ni même d’évaluer les effets de ces décisions, après qu’elles ont été prises.
Pierre Caspard
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (9 juillet 2025). Clémence Cardon-Quint, L’argent de l’école. Histoire du budget de l’Éducation nationale depuis 1945. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14b7a


