Laura C. Forster, The Paris Commune in Britain. Radicals, Refugees, and revolutionaries after 1871.
Oxford, Oxford University Press, 2025, 224 p.
Au cours des semaines et des mois qui suivirent la Semaine sanglante, quelque 5 000 ou 6 000 communeux rescapés des massacres se virent contraints de prendre le chemin de l’exil, réussissant à gagner l’un des trois principaux pays refuges. Tandis que la Belgique accueillait environ 1 500 réfugiés et la Suisse sans doute un millier, la Grande-Bretagne, celui de tous les pays européens qui offrait aux réfugiés politiques l’asile le plus sûr, vit arriver au total un peu plus de 3 000 personnes, si l’on prend en compte les communards et les membres de leurs familles.
Paradoxalement, en dehors des travaux pionniers de Paul K. Martinez (« Paris Communard Refugees in Britain. 1871-1880 », Ph D, University of Sussex, 1981), la réalité de l’exil dans ce dernier pays restait finalement assez peu étudiée. Tiré d’une thèse soutenue en 2018, l’ouvrage de Laura Forster constitue donc de ce point de vue une contribution bienvenue, d’autant que l’angle d’approche est cette fois différent : il ne s’agit plus tant d’étudier la communauté des exilés en soi pour en faire l’histoire collective, que d’étudier en quoi la culture politique britannique s’est trouvée affectée à court, moyen et long terme, par l’onde de choc de la Commune et la présence des réfugiés dans le pays. L’auteure a donc abordé l’exil comme moment de réflexion politique, de contacts et de transferts culturels, marqué par des relations, des liens forts d’amitié et des solidarités entre autochtones et réfugiés, afin de dresser un bilan de ce qui en est resté. Ce qui nous est proposé ici est donc un élargissement de la perspective d’ensemble et une réflexion sur les voies et les différents moyens par lesquels des acteurs du champ politique et social britannique se sont approprié les idées dont la Commune était porteuse pour les intégrer dans leur vision des transformations politiques souhaitables – avec en arrière-plan quelques-unes des raisons qui ont pu pousser le mouvement ouvrier et socialiste outre-Manche à choisir la voie du réformisme plutôt que celle de la Révolution (encore que cette généralisation doive être nuancée).
L’ouvrage comprend deux parties distinctes : la première (chap. 1 à 3) porte sur les années 1871-1880, période durant laquelle les réfugiés furent physiquement présents en Grande-Bretagne ; la seconde (chap. 4 et 5) aborde la question de l’héritage intellectuel et politique de la Commune outre-Manche de 1881 à nos jours.
Le chapitre 1 commence par développer une approche spatiale fine et détaillée de la constitution de la communauté des exilés communards caractérisée par une concentration géographique de l’habitat et son expansion depuis Soho (où s’étaient regroupés les exilés de la vague quarante-huitarde) en direction de Fitzrovia et Holborn. Sont également étudiés les lieux de sociabilité (pubs, salles de réunions, restaurants et cantines, salle de lecture du British Museum…), où s’opérèrent des rencontres informelles entre réfugiés français et sympathisants anglais qui favorisèrent la dissémination d’idées socialistes en Grande-Bretagne. Cette « socialisation politisée » façonnera des alliances et des approches philosophiques nouvelles, tout en créant des liens personnels entre les militants français, britanniques et européens qui fréquentent les mêmes endroits. Le même phénomène ayant été observé par exemple à New York ou à Genève, on sort ainsi d’une certaine image voulant que les communautés d’exilés aient été globalement assez fermées sur elles-mêmes.
Le chapitre 2 met l’accent sur l’importance des liens amicaux que nouèrent certains militants britanniques avec des réfugiés, rapports qui, passant par des voies personnelles, voire intimes, plutôt qu’institutionnelles, favorisèrent une acculturation de notions telles que le socialisme municipal ou la démocratie directe chères aux communards vaincus. On savait, à travers les cas de Paul Brousse et Jean-Louis Pindy en Suisse, de Gustave Bazin en Belgique, de Benoît Malon en Italie, et plus généralement de la communauté communarde de New York, à quel point les exilés étaient parvenus à influencer le développement du socialisme et/ou du syndicalisme local. En mettant notamment en avant les relations bien documentées nouées par le syndicaliste Robert Burns avec le communeux Arthur Delahaye, Laura Forster en apporte ici une confirmation supplémentaire.
Notons que, dans le même ordre d’idée, un autre exemple tout aussi probant aurait pu être évoqué, celui de Zéphirin Camélinat. Ouvrier bronzier d’élite, signataire du Manifeste des Soixante, un des premiers adhérents parisiens de l’AIT (Association internationale des travailleurs), c’est à l’occasion de la grande grève des bronziers du printemps 1867 qu’il prit contact avec les Trade Unions londoniens en venant négocier leur soutien aux grévistes français. Directeur de la Monnaie sous la Commune, combattant sur les barricades jusqu’au dernier jour, il se réfugia en Angleterre, s’installa à Londres (où il trouva facilement du travail), manqua de peu d’être invité à siéger au Conseil général de l’AIT (mais il y a déjà trop de Français) et partit s’installer à Birmingham. Autorisé à adhérer à l’Amalgamated Society of Engineers, il participa aux débats politiques locaux et milita avec succès pour la municipalisation du gaz, créa un commerce, puis une entreprise (qui restera active jusqu’à la Première Guerre mondiale et dont il laissera la direction à son fils). Veuf, il se remaria avec la fille d’un puddleur syndiqué, rentra en France, se fit marchand de vins et de spiritueux qu’il exportait pour une clientèle anglaise (y compris le parlement de Londres !) tout en occupant dans le même temps d’importantes fonctions au sein du mouvement socialiste français (en tant qu’inamovible trésorier). Sa connaissance de la langue anglaise fit alors de lui l’intermédiaire officieux avec les camarades britanniques, participant à plusieurs congrès des Trades Union Congress (TUC) et servant de cicérone à son ami Keir Hardie quand celui-ci vint assister au congrès socialiste de Lyon (1912).
En fait, par-delà les rapports noués au plan personnel, il y aurait peut-être une piste à creuser en portant davantage attention aux liens noués entre Français et Britanniques dans le cadre du travail – y compris au départ dans le cadre syndical. Des itinéraires comme ceux de Maximilien Avoine (devenu au terme de son parcours professionnel en alternance entre la France et la Grande-Bretagne modeleur chez le faïencier Willeman & Co à Stoke-on-Trent, où il sera le créateur de la célèbre collection Dainty White) ou de Prosper Douvet (devenu durant l’exil propriétaire-éditeur et imprimeur de journaux en association avec George Frederick Hudson, avant de devenir en France, à son retour, le représentant de la papeterie Spalding & Hodge), et d’autres encore sont là pour montrer que des liens profonds se créèrent en suivant une multitude de voies différentes.
En resserrant la focale, le chapitre 3 étudie de manière détaillée et novatrice le cas des positivistes anglais, qui, après avoir joué un rôle déterminant pour favoriser les échanges entre militants ouvriers français et anglais lors de la création de la Première Internationale, furent pour une période brève (1871-1872) – mais avec des conséquences durables – les premiers et les plus ardents défenseurs de la Commune, dans laquelle ils voyaient la concrétisation de la République sociale d’Auguste Comte. Cette étude fouillée sur les positivistes britanniques s’avère si intéressante qu’elle nous invite du coup à nous demander si une enquête équivalente sur la franc-maçonnerie, en partant des travaux d’André Combes sur la loge des Philadelphes et des autres loges des communards réfugiés à Londres, n’offrirait pas elle aussi matière à réflexion.
Les chapitres 4 et 5 proposent une analyse là encore riche des représentations de la Commune véhiculées par la littérature, et de la manière dont les leçons de la Commune ont été intégrées dans la mythologie du socialisme local, jusqu’à devenir une source d’inspiration durable pour son imaginaire politique en lui fournissant des symboles à même de dépasser les clivages existant entre les différentes régions et les factions rivales.
Dense et novateur dans ses problématiques, l’ouvrage de Laura Forster constitue indéniablement une avancée majeure. On regrettera néanmoins qu’à une exception près l’auteure n’ait pas pris en compte les nombreux travaux parus en 2020-2021 à l’occasion de la célébration du 150e anniversaire de la Commune ; et qu’elle soit de même passée à côté d’un certain nombre de travaux en langue française qui auraient pu venir conforter sa démonstration et/ou suggérer des pistes de réflexion complémentaires, en permettant notamment une mise en perspective de ses conclusions sous l’angle comparatif avec les autres pays refuges (Belgique, Suisse, États-Unis, Argentine…).
Reste que ce travail de recherche original, fouillé et globalement bien informé marquera une étape importante dans notre manière de penser l’exil communard.
Michel Cordillot
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (23 juillet 2025). Laura C. Forster, The Paris Commune in Britain. Radicals, Refugees, and revolutionaries after 1871. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14eq0


