Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Lucile Truffy, C’est Formica, c’est formidable! Une histoire d’entreprise 1951-1983.

Paris, éditions Ithaka, 2024, 292 p.

Il est rare qu’une première recherche en master fasse l’objet d’une publication. C’est pourtant le cas de C’est Formica, c’est formidable ! Une histoire d’entreprise (1951-1983). La recherche de Lucile Truffy a été primée à trois reprises, dont le prix Ithaque-Marquet, à l’origine de la publication. Que les éditions Itahka soient ici remerciées pour ce travail d’édition qui met à la portée des curieux cette première recherche menée de façon remarquable. Celle-ci passe par les différents attendus d’un master recherche. En premier lieu, la consultation d’archives diverses. Partant du fonds Formica (l’entreprise est une filiale d’un groupe américain) aux archives départementales de l’Aude, Lucile Truffy a su solliciter de nombreux autres fonds afin de saisir l’histoire de l’entreprise et du produit. D’autre part, les six chapitres mettent en avant la méthodologie suivie ; enfin, la bibliographie ainsi que les interrogations sont exposées en chaque début de chapitre. Le lecteur est donc accompagné dans l’exposé de la recherche. Enfin, le tout est porté par une écriture fluide, agréable à lire. Ce travail est donc à mettre entre les mains de tous les étudiants en master, les apprentis historiens comprendront ainsi comment se construit, pas à pas, la recherche en histoire.

L’introduction « De l’hagiographie à l’histoire » pointe les articulations futures du travail de recherche, entre histoire du produit et des marchés et histoire de l’environnement, interrogation nouvelle. L’étude des salariés n’est pas le centre de la réflexion, le personnel n’est présent que rarement et ce n’est qu’à la page 167 que l’on apprend entre parenthèses que l’entreprise Formica-France compte 450 personnes ; puis, à l’aide d’un graphique, que le nombre de salariés est passé de 907 en 1973 à 445 dix ans plus tard. Le patron est nommé lorsque cela est nécessaire, pas plus. De la même façon, l’étude du fonctionnement de l’entreprise, sa présence dans la ville de Quillan, ne sont pas à rechercher ici. En revanche, l’histoire du produit est au centre de l’étude et Lucile Truffy n’hésite pas à aller chercher au XIXe siècle des comparaisons bienvenues ou des études relevant de la sociologie, de l’anthropologie, du design industriel, tant en français qu’en anglais, pour y puiser une méthodologie ou conforter ses analyses. Ce sont là les belles qualités de la recherche. L’histoire des entreprises se conjugue donc de différentes façons, en fonction des objectifs de la recherche.

Le plan développé est classique et bien maîtrisé, composé de trois parties de deux chapitres chacune, aux titres bien tournés. La première partie est consacrée à l’installation de l’entreprise à Quillan (Aude) et à la place occupée par celle-ci dans le marché national et le marché commun avec la concurrence italienne. Les itinéraires marchands forment la deuxième partie. « La force de vente » et « La conquête des cœurs et des esprits » expliquent les succès commerciaux. La complexité de la chaîne de commercialisation qui porte les succès est mise en valeur. La troisième et dernière partie est consacrée d’une part aux « eaux troubles », c’est-à-dire à la crise des années 1970 qui touche de plein fouet l’entreprise, d’autre part, dans le dernier chapitre, aux dégâts environnementaux. L’épilogue relie la fermeture de l’usine de Quillan aux difficultés de l’entreprise mère, aux investissements que demandent les sites classés Seveso avec le stockage de phénol, formol et mélanine ainsi qu’aux dernières pollutions de l’Aude.

À l’issue de la lecture se pose une question méthodologique : faire l’histoire d’un produit et de ses marchés suppose d’abord que l’on s’intéresse à l’existant et à ses usages avant même que l’on s’intéresse à l’entreprise qui le produit. Ainsi, la démonstration aurait gagné en efficacité si une étude du marché des meubles, avant même l’introduction du Formica, avait été présentée, ce qui aurait permis d’évoquer l’appétence de la maison mère américaine pour le marché français et le choix du site de Quillan. Appréhender le marché en amont du produit met en valeur la réussite de son introduction, ce qu’il est plus difficile à démontrer lorsque l’entreprise et ses choix stratégiques ont occupé les deux premiers chapitres. Par ailleurs, le travail de recherche de Lucile Truffy nous amène à penser les liens entre l’entreprise et le produit lorsque ce dernier est unique. La situation s’avère mortifère bien souvent.

Ces remarques et interrogations n’enlèvent rien à ce travail qui dénote une belle maturité de recherche, d’autant que Lucile Truffy a su puiser dans la bibliographie, pourtant bien éloignée de l’ameublement, des points de comparaison qui donnent une portée large à son étude. Ce travail de master nous propose donc l’exemple du Formica, marqueur d’une époque, où les familles s’équipent, où le confort entre dans les pavillons nouvellement construits au prix de la pollution du fleuve Aude et de maladies liées au travail des ouvriers manipulant des produits nocifs – éternel paradoxe du monde industriel pointé dès le milieu du XIXe siècle. Ainsi, Jules Michelet constatait dans Le peuple que les vêtements à fleurs de « ce peuple de femmes présentes sur nos promenades » étaient le fruit du travail d’« un misérable petit peuple d’hommes qui vivent à moitié1 ».

Sylvie Vabre


  1. Jules Michelet, Le peuple, Paris, Grand Écrivains, 1987, p. 55, nombreuses rééditions. ↩︎

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (18 septembre 2025). Lucile Truffy, C’est Formica, c’est formidable! Une histoire d’entreprise 1951-1983. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14pc3


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.