Jean Bourcart, Le général Delestraint : la Résistance, de l’Armée secrète jusqu’à Dachau.
Paris, Perrin, 2023. Préface de Jean-Noël Grandhomme.
Aux grands hommes, la patrie reconnaissante : l’épitaphe donne le ton de l’ouvrage que Jean Bourcart consacre au général Delestraint, officier de l’armée française entré en Résistance, mort pour la France au camp de Dachau. À bien des égards, l’histoire de l’armée des ombres se prête au genre biographique, qui nous rappelle l’extrême diversité des engagements convergeant dans la lutte contre le régime de Vichy et/ou contre l’occupation allemande. Hommes et femmes de tous âges, venus de l’ensemble de l’échiquier politique et de toutes les catégories sociales, Français et étrangers, civils et militaires viennent en effet composer le vaste prisme résistant. Retrouver leurs parcours dans la clandestinité est souvent une gageure pour l’historien, en particulier pour celles et ceux qui ont résisté dans « le rang ». Ce n’est pas le cas ici : l’ouvrage revient au contraire sur un officier de l’armée française dont la carrière et l’engagement en Résistance ne sont pas inconnus. C’est l’exemplarité de la vie d’un homme illustre que l’auteur entend ici démontrer, à contre-courant d’une historiographie qui cherche souvent à retrouver les hommes derrière les récits héroïques. La volonté affirmée de faire le portrait d’un officier pour la postérité conduit à brosser un tableau très complet de Delestraint au fil de sa carrière, sans qu’au fil des pages on n’ait toujours le sentiment d’en apprendre autant sur l’homme. C’est bien l’objectif que se fixe cette biographie, ouverte par ces mots : « Si le général Delestraint est “mort debout, en beau soldat et en chrétienˮ, il est toujours, nous semble-t-il, celui dont la vie offre un parcours de volonté et de courage à ceux qui doutent dans l’exercice de leurs responsabilités. Le lecteur saura-t-il s’en convaincre ? » (p. 23). L’ouvrage en tout cas s’y emploie, en cherchant une figure tutélaire pour l’armée d’aujourd’hui.
On découvre ainsi comment Charles Delestraint, né en 1879, en est venu à la carrière militaire. Sa mère, Marie-Antoinette Legay, veuve de guerre, a épousé en secondes noces son père, Georges Delestraint, ancien combattant de 1870 et employé d’usine. Élevé dans une fervente famille chrétienne, scolarisé à l’école des frères maristes à l’âge de 11 ans, brillant élève qui décroche le baccalauréat à 17 ans, il entre à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1897 – lieu où « des adolescents apprennent à devenir des hommes endurcis pour servir la France » (p. 33). Il sort de l’école en même temps qu’Henri Giraud et, devenu sous-lieutenant, rejoint comme lui l’infanterie : sa première affectation est le 16e Bataillon de chasseurs à pied (BCP). Malgré des débuts prometteurs, des problèmes de santé ralentiront sa carrière dès les premières années du siècle. C’est durant ses séjours aux eaux qu’il rencontre son épouse, Raymonde Gillet ; leur mariage est célébré en 1910 et leur fille aînée Odette naît en 1911.
Lorsque éclate la guerre de 1914, Charles Delestraint est capitaine d’une compagnie du 58e BCP, où il acquiert sans peine la confiance de ses hommes. Après des combats intenses, il est fait prisonnier à la fin août 1914 et termine la guerre en captivité. Croix de guerre française et belge, chevalier de la Légion d’honneur, il accède après-guerre au grade de chef de bataillon et entre à l’École supérieure de guerre en 1919 – une admission obtenue en 1914 mais reportée en raison du conflit – avant de rejoindre en 1922 le 503e Régiment de chars de combats (RCC), affectation qui lui vaut une formation spécifique. Il participe notamment, avec les chars, à l’occupation française de l’Allemagne et cette arme reste la sienne jusqu’à la fin de sa carrière. Il y fait preuve des mêmes qualités de commandement que chez les chasseurs, toujours attentif à ses hommes et à leurs familles. C’est en qualité de colonel qu’il est nommé commandant de la 3e brigade de chars à Metz, en 1936, avant de devenir, la même année, général de brigade ; il y côtoie Giraud, son supérieur, qui souligne à plusieurs reprises ses qualités, ainsi que de Gaulle, qui commande alors un régiment de sa brigade et lui rend rapport quotidiennement. Quoique moins critique que ce dernier, Delestraint développe une fine connaissance de son arme et formule de nombreuses recommandations pour en faire meilleur usage dans les guerres à venir.
En mars 1939, il est général deux étoiles quand il se retire de la vie militaire, après 42 ans de service. Il est toutefois rappelé à l’activité en septembre et continue à plaider sans relâche pour moderniser l’emploi des chars – il n’est, en cela, pas plus entendu que de Gaulle, avec lequel « les liens d’estime mutuelle s’affirment dans les combats de mai-juin 1940 » (p. 166). Le 7 juillet 1940, il réunit les cadres et équipages de chars sous ses ordres et délivre « un vibrant message d’espoir et un engagement à poursuivre la lutte » (p. 167), dans lequel il affirme : « si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire présent » (p. 168). Il est général de division quand sa carrière s’achève pour la seconde fois. Alors, depuis l’Ain, il essaye de tirer des leçons de la campagne et de la défaite, rejoignant l’analyse maréchaliste qui en tient la République responsable ; dans le même temps, il s’emploie à faire récompenser ses hommes – sans en reporter aucun pour manquements graves, malgré des demandes en ce sens. Développant son réseau d’influence chez les anciens des chars, Delestraint chemine vers l’idée d’un nécessaire retour aux armes pour chasser l’occupant – sans toutefois désavouer le régime du Maréchal : il compte en cela au nombre des « vichysto-résistants » étudiés par Johanna Barasz. Il se lie toutefois, parallèlement, avec des familles qui constitueront ensuite autant de contacts dans la Résistance très active de l’Ain et d’une région lyonnaise étendue.
Alors que le général de Gaulle a envoyé Jean Moulin dans l’Hexagone pour négocier le ralliement des Mouvements de Résistance sous sa bannière, se pose la question de l’organisation et du commandement de leurs forces paramilitaires. Delestraint accepte en août 1942 le commandement d’une Armée secrète (AS) qui voit le jour à l’automne. Il se place donc aux ordres de son ancien subordonné, ce dont de Gaulle prend acte dans un message diffusé par la BBC : « Charles à Charles, d’accord ». Devenu « Delé » ou« Vidal » dans la clandestinité, Delestraint assume cette responsabilité, non sans frictions avec Henri Frenay, qui peine à accepter ce qu’il perçoit comme une tutelle gaullienne. Au moment de son arrestation, en juin 1943, il laisse une AS dont l’organisation reste inachevée. Incarcéré à Fresnes, il passe par le Struthof sous le matricule 7839, avant d’être envoyé à Dachau où il arrive le 6 septembre 1944. Déporté « Nuit et Brouillard », il est abattu le 16 avril 1945, deux semaines seulement avant la libération du camp. Sa fille l’apprendra dans la presse le 30 avril. Compagnon de la Libération à titre posthume, il sera célébré à plusieurs reprises par de Gaulle, et son nom inscrit sur les murs du Panthéon en 1989, sous la présidence de François Mitterrand.
On l’aura compris, cet ouvrage a le mérite d’incarner la Résistance, au travers d’un parcours individuel qui permet de comprendre les ressorts de l’engagement et les épreuves terribles qu’il recouvre. Replacé dans la galerie de portraits très divers qui composent l’armée des ombres, il ajoute sa pierre à une histoire exhaustive des résistants. On peut parfois regretter d’en apprendre davantage, au fil du texte, sur les chars que sur la Résistance, et sur l’officier que sur l’homme. Sa vie de famille reste par exemple assez peu évoquée et on aurait aimé d’autres passages, comme la très belle citation de sa correspondance avec son épouse après son arrestation de 1943. Ce sont, toutefois, des choix revendiqués par l’auteur dans ce qui est aussi le tribut d’un officier à son modèle.
Raphaële Balu
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (4 octobre 2025). Jean Bourcart, Le général Delestraint : la Résistance, de l’Armée secrète jusqu’à Dachau. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ux0


