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Fabien Lostec, Condamnées à mort: l’épuration des femmes collaboratrices 1944-1951.

Paris, CNRS éditions, « Nationalismes et guerres mondiales », 2024, 400 p. Préface de Marc Bergère.

Éclipsées de la mémoire collective, près de trois quarts des femmes contradictoirement condamnées à mort au XXe siècle sont pourtant des épurées. Dans la lignée des travaux de Fabrice Virgili, de Marc Bergère et d’Anne Simonin1, c’est l’exceptionnalité de ce « moment 1945 » (p. 14) dans le rapport des femmes à la peine capitale qu’interroge brillamment l’ouvrage de Fabien Lostec. Au croisement d’une histoire sociale et judiciaire, nourrie d’un corpus de sources exhaustif et inédit, son étude réussit le pari de décliner avec minutie la procédure judiciaire ayant mené 651 femmes à la condamnation à mort par des tribunaux légaux. Plus encore, et parce qu’ils s’appuient aussi bien sur des comptes rendus d’interrogatoire, des rapports médico-légaux, des dossiers de recours en grâce ou des archives carcérales, les huit chapitres de l’ouvrage retracent et analysent les différentes étapes de la trajectoire des accusées, depuis la survenue du méfait à l’application de la peine.

Préalable nécessaire, l’historien éclaire d’abord les arcanes éminemment complexes de « l’archipel épuratoire » (p. 41), tel qu’il prédomine entre juin et septembre 1944, soit avant que ne s’imposent difficilement les cours de justice instituées par l’ordonnance du 26 juin. Alors qu’elle est un enjeu de pouvoir majeur à l’heure où le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) tente d’asseoir son autorité, la justice est encore exercée par une multitude de cours et de tribunaux. Qu’ils soient orchestrés par des autorités résistantes locales (tribunaux de maquis, tribunaux populaires, cours martiales de la Résistance) ou par les commissaires d’une République cherchant à s’affirmer (cours martiales de la République, tribunaux militaires réguliers, cours de justice), tous ne traitent pas aussi durement les femmes soupçonnées de collaboration. Au contraire, et alors que les exécutés restent très largement des hommes, celles-ci sont plus fréquemment condamnées à mort par les tribunaux extralégaux dont les territoires ont été spécifiquement marqués par une forte présence maquisarde.

Si la géographie des peines capitales s’en trouve donc nettement dominée par les départements méridionaux, Fabien Lostec rappelle néanmoins que toutes les condamnées à mort sont loin de l’être contradictoirement. Seul un tiers d’entre elles assistent à leur procès, quand la plupart des accusées choisissent une fuite plus ou moins anticipée au gré des rumeurs d’exactions menées contre les collaborateurs. Qu’elles se réfugient à l’étranger, majoritairement en Allemagne ou en Italie, ou qu’elles restent en France, la réussite de leur entreprise dépend aussi bien de la solidarité d’un réseau social préexistant que de l’argent dont elles disposent. Ainsi, Renée Bouffeteau, commerçante tourangelle, quitte la ville avec son amant et pas moins de 5 millions de francs dans ses bagages. Jacqueline Bideran de Béraud de Carteranne, elle, profite avec ses proches de la complicité de l’archevêché de Milan et des largesses de la famille Déat avant de s’installer en Argentine.

La fuite joue alors comme une circonstance aggravante, sensible dans des procès majoritairement menés pour trahison (96 %) et pour espionnage (4 %). L’historien reconstitue d’ailleurs avec brio toute la nébuleuse des transgressions imputées aux prévenues, très nettement marquée par les assignations traditionnelles de genre que trahissent des inculpées relativement jeunes, actives, citadines et souvent déjà condamnées. Plus de 50 % sont ainsi accusées d’avoir aidé ou intégré un service de renseignement ennemi ou un parti collaborationniste, 37 % d’avoir dénoncé un ou plusieurs de leurs compatriotes et 8 % de connivence politique. À côté de ces principaux chefs d’accusation, la collaboration sexuelle, amicale ou économique ne fait qu’alourdir les griefs faits aux femmes et dont on note d’ailleurs qu’ils touchent bien moins à la sphère militaire que les procédures menées à l’encontre des hommes.

Néanmoins, loin du cliché de la femme passive et apolitique, l’étude relate au contraire une certaine force des engagements. C’est ainsi que près de deux tiers des délations recensées sont de nature politique, qu’elles soient purement idéologiques ou intéressées. Gabrielle Ringot prend ainsi soin de placer une photographie du général de Gaulle dans le domicile conjugal avant de dénoncer son mari aux autorités allemandes. Souvent calomnieuses, plus de la moitié d’entre elles mènent néanmoins à la déportation, la torture ou la mort des dénoncés, plus encore au moment de la radicalisation de la répression judiciaire du MBF (Militärbefehlshaber in Frankreich) à partir de l’année 1943. Quant aux collaborationnistes, condamnées pour leurs accointances policières ou politiques, elles se révèlent également bien plus actives et convaincues que d’autres accusées jugées en chambres civiques pour des motifs similaires. Indicatrices (25 %), agentes de renseignement (30 %) ou activistes (25 %), leurs dossiers suggèrent la profondeur d’un engagement que facilite assurément l’absence des hommes. Sans que leur trajectoire ne soit préalablement marquée par un investissement politique notable, ces femmes s’impliquent par exemple dans des collectes de fonds, s’essaient à la propagande et vont parfois jusqu’à occuper les postes clefs de partis politiques. Âgée d’à peine 20 ans, Georgette Ladoux, membre du PPF (Parti populaire français), monte ainsi sa propre section du parti de Doriot en Thuringe. Qu’elles agissent au nom d’idéaux idéologiques, moraux ou religieux, le collaborationnisme se décline donc aussi au féminin.

De la même manière, et alors que les représentations de genre la nient ou la fantasment, Fabien Lostec met en exergue la profonde violence dont sont accusées certaines prévenues. Du marché noir au grand banditisme en lien avec les services policiers allemands, l’étude relate d’abord toute l’étendue de la compromission des femmes en matière de trafics divers. Loin de se limiter aux biens, 16 % des inculpées sont accusées de violences physiques commises au cours d’interrogatoires menés par la Sipo-SD. Plus ou moins actives, elles n’en inversent pas moins fondamentalement les rapports entre dominants et dominées. Conscientes de leur pouvoir, elles marquent ainsi leur intégration au groupe, probablement par mimétisme mais aussi par surenchère. Certaines d’entre elles se font même particulièrement brutales : parmi la quarantaine de femmes poursuivies pour port d’arme, Jeanne Hermann tranche la gorge d’un Juif de 72 ans qui tentait d’échapper à une rafle en juillet 1944. Parce que cette violence transgresse radicalement les représentations du « féminin », ces tortionnaires s’exposent alors aux accusations de sadisme et de monstruosité qu’immortalisent les enquêtes de police et de gendarmerie.

Abordée dans la dernière partie de l’ouvrage, la question du genre et de la place qu’il occupe dans les procédures ne tient d’ailleurs pas seulement aux présupposés guidant la perception des témoins mais, bien plus largement, aux croyances de l’ensemble des acteurs judiciaires. Si certaines accusées, présumées coupables, se jouent de ces représentations pour attiser la clémence de leurs juges en prétextant leur légèreté ou leur innocence, ceux-ci se montrent plus ou moins indulgents selon le niveau de la transgression : la virilisation des femmes, par exemple, perçue comme une menace pour l’équilibre de la société, accroît les condamnations. Pour le reste, les jurys majoritairement masculins ne tendent qu’à minorer l’engagement de celles qu’ils perçoivent surtout à l’aune des stéréotypes de genre.

Façonnées par des présupposés anciens, pensées pour punir mais aussi pour restaurer l’ordre des sexes, les condamnations à mort font ensuite l’objet de recours en grâce dont l’étude retrace la mécanique relativement complexe. Et si le général de Gaulle s’affiche comme le chef de l’exécutif le plus clément avec 97 % de peines commuées, s’il se montre en réalité particulièrement soucieux de préserver la vie de futures génitrices de la République, quarante-six femmes sont finalement exécutées entre 1944 et 1949. Dans un style résolument incarné, Fabien Lostec retrace alors les derniers moments de vie des condamnées à mort. Percluses d’angoisse et d’ennui durant le mois séparant le verdict de la grâce, elles sont soigneusement surveillées, isolées et enchaînées. Et pour celles dont la délivrance ne vint jamais, une ultime confession, une lettre, un verre d’alcool et une dernière cigarette précèdent généralement l’exécution. Quant aux graciées, il n’est pas question de mort physique mais plutôt d’une mort sociale. Et si l’incarcération coupe les femmes de leur entourage, elle les baigne également dans un quotidien de violence, de discipline et de vétusté dont seuls les extraient quelques colis, l’approfondissement d’une pratique religieuse ou l’entretien de relations homosexuelles. Privées de toute chance d’amnistie, la plupart des prisonnières sont finalement relâchées dans les années 1950 et tentent alors de reconstruire leur vie au gré des contraintes de la dégradation nationale, des interdictions de séjour et de la stigmatisation sociale.

Depuis l’Occupation jusqu’à l’après-guerre, c’est donc une histoire riche, complète et nécessaire que retrace l’ouvrage de Fabien Lostec. Si son approche de la collaboration féminine porte un éclairage totalement nouveau sur les formes les plus extrêmes de leur engagement, elle renouvelle également l’histoire d’une épuration encore aujourd’hui largement écrasée par les topoï de la femme tondue et de la collaboratrice sexuelle.

Charlotte Barnabé


  1. Fabrice Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000 ; Marc Bergère, Une société en épuration. Épuration vécue et perçue en Maine-et-Loire. De la Libération au début des années 1950, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004 ; Anne Simonin, « Rendre une justice politique : l’exemple des chambres civiques de la Seine (1945-1951) », Histoire de la justice, n° 18, 2008, p. 73-89. ↩︎

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (5 octobre 2025). Fabien Lostec, Condamnées à mort: l’épuration des femmes collaboratrices 1944-1951. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ux7


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