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Rod Kedward, The French Resistance and its legacy.

Londres, Bloomsbury Academic, 2022, 168 p.

L’ouvrage de Rod Kedward se présente sous la forme d’une série d’essais, issus de ses nombreuses années de recherche sur la résistance dans les milieux ruraux, accompagnés d’une réflexion plus large sur la Résistance. Structurés en chapitres thématiques, les essais n’ont pas tous été écrits dans la même période et certains ont déjà été publiés. Chaque chapitre est complété par un ou deux extraits de l’importante collection d’entretiens oraux avec des membres de la Résistance faits par l’historien au cours de sa recherche, et qui donnent au livre sa cohésion. Ces témoignages sont toujours pertinents et souvent émouvants. Plus important encore, ils servent à renforcer ses arguments. Considéré dans son ensemble, le livre donne une lecture sensible de la Résistance, de ses spécificités et de ses complexités, et constitue dans le même temps une puissante défense de l’histoire orale.

Rod Kedward nous a laissé deux ouvrages sur le maquis, Naissance de la Résistance dans la France de Vichy. Idées et motivations, 1940-1942 (Paris, Champ Vallon, 1989) et À la recherche du maquis. La Résistance dans la France du Sud, 1942-1944 (Paris, Éditions du Cerf, 1999). The French Resistance and its Legacy aura été sa dernière publication, puisqu’il est décédé en avril 2023. On y retrouve l’approche clairvoyante de l’auteur, sa connaissance approfondie de la période, son écriture à la fois accessible et érudite, et le brassage culturel qu’il affectionnait. Les références à l’art, à la littérature et au cinéma abondent ; il cite entre autres Fritz Lang, Hitchcock, et même George Clooney.

Dans l’introduction, l’auteur explique sa démarche de chercheur, son choix d’étudier les milieux ruraux et l’accès à la matière vivante que lui permettaient ses entretiens avec des acteurs, qu’il s’agisse de l’agent du SOE (Special Operations Executive) Francis Cammaerts ou de la résistante Madeleine Baudoin. Face à des historiens français sceptiques quant à la fiabilité des témoignages, cette approche de terrain a permis à Rod Kedward de donner la parole aux résistants. L’introduction se termine par l’affirmation que la Résistance, en France et ailleurs, pour être pleinement comprise, devrait être une catégorie d’analyse historique propre. Une conviction que Kedward confirme à la fin du livre.

Le deuxième chapitre traite du discours sur l’héroïsme. Il s’intéresse à l’historiographie de la Résistance, de la panthéonisation de Jean Moulin en 1964 à l’ouverture de la recherche pendant les années 1980 pour inclure la Résistance des femmes. Il en déduit que la vision de l’héroïsme exceptionnel du résistant, très courante dans l’immédiat après-guerre, s’est modifiée jusqu’à représenter les résistants comme des gens ordinaires. En 1979, Rod Kedward a interviewé les Aubrac dans leur appartement à Paris. Il expose en détail les controverses malheureuses qui ont surgi dans les années 1990 à propos de leur bilan en matière de résistance. Toujours partisan convaincu des Aubrac, il explique le dysfonctionnement de cette affaire lorsque les historiens se sont érigés en juges et en jurés. Ce faisant, il met en évidence la différence entre l’histoire et la mémoire, et explique comment on doit travailler avec les témoignages et ce que l’on doit éviter. Il confirme que l’histoire orale à elle seule n’est pas l’histoire, toutefois, il souligne qu’elle peut fournir de la matière personnelle dont les historiens ont besoin pour vraiment saisir le vécu et fournir de nouvelles hypothèses et perspectives.

C’est en mobilisant cette approche que Rod Kedward a pu mettre en lumière le rôle joué par les femmes dans la Résistance, en les présentant sur « le seuil de la porte ». Lors d’entretiens avec des membres du maquis, dont les épouses étaient souvent présentes, il avait noté qu’elles apportaient parfois des informations clés, et compris le rôle central des femmes dans les opérations, de la résistance au foyer. Rod Kedward a alors interrogé les sources écrites, y compris les rapports de police, et trouvé des preuves sur la conduite des femmes, notamment pour distraire et tromper la police afin de couvrir les activités de leurs maris et de leurs complices.

Un autre chapitre est consacré à Irène Némirovsky, autre figure controversée défendue par Kedward. La présente publication intègre son essai publié en 2008 sur la réception de Suite française, qui a fait sensation en 2004 en raison des circonstances extraordinaires de sa découverte et de son contenu. Le manuscrit, caché pendant la guerre, avait été conservé par l’une des filles de l’autrice. Soulignant l’attrait de l’histoire (le livre a connu un énorme succès), il aborde les débats engagés lors de la parution du livre sur la représentation fidèle ou non de l’exode de 1940 et de la France sous l’Occupation. Rod Kedward s’en sert pour proposer une réflexion plus large sur la relation entre la fiction et l’histoire. Il nous rappelle que les résistants ont déployé en fait des trésors d’imagination pour parvenir à leurs fins.

L’historien souligne à plusieurs reprises ses principales conclusions, tant dans les discussions que dans les interviews émouvantes et évocatrices qu’il intègre aux essais. Il nous invite à toujours garder à l’esprit la centralité du contexte et du lieu lorsque nous étudions la Résistance. Dans son chapitre sur la spécificité du lieu, il insiste sur celle des réseaux politiques et sociaux, ainsi que sur les chronologies différenciées et relatives des résistances liées aux caractéristiques des lieux. Il rappelle également que lors de ses entretiens avec les témoins, son attention avait été attirée par l’influence des traditions locales, des pratiques et des usages spécifiques comme facteurs de motivation de la résistance, en citant le cas des maquis des Cévennes, dont les activités se référaient à la révolte des Camisards du début du XVIIIe siècle, ou l’histoire des Cathares dans le département de l’Aude. Il souligne l’importance de la transmission orale de ces événements dans le temps pour motiver la résistance. Il inclut aussi la personnalité de chaque résistant comme l’une de ces spécificités et, en se concentrant sur la figure particulière de Georges Guingouin, l’instituteur qui a organisé le maquis en Limousin en valorisant l’identité régionale, il établit un lien entre le lieu et le rôle du mythe et de la mémoire dans la mobilisation de la résistance. Il montre également qu’il ne faut pas négliger l’importance des actes des individus, à considérer dans toute leur humanité et leur complexité.

Dans son chapitre sur le discours de l’exil, il revient sur le rôle des réfugiés et des étrangers dans la Résistance, qu’il s’agisse des républicains espagnols, des antifascistes italiens, des réfugiés juifs d’Europe centrale et orientale ou de l’Allemagne nazie venus en France. Ils se sont retrouvés en nombre dans les activités de résistance. Il évoque également le développement et la sécurité des lignes d’évacuation, pour lesquelles le SOE britannique a joué un rôle clé. Il souligne le changement conceptuel apporté par la reconnaissance de cette contribution, en nous rappelant l’importance de parler de « la résistance en France » plutôt que de « la résistance française ».

Rod Kedward met aussi en lumière la façon dont la Résistance a été commémorée jusqu’à présent et l’importance des musées de la Résistance, ainsi que des colloques et des multiples thèses et doctorats sur le sujet. Il achève son ouvrage en retournant à son constat d’ouverture, pour proposer une vision plus large des études sur le sujet. C’est un appel ambitieux pour creuser de nouvelles pistes à partir des Archives des témoignages de la Résistance, qu’il a créées à l’Université de Sussex en 2014. Avec ces archives, il a cherché à mettre l’accent sur les études sur la Résistance, qu’il considère comme se situant entre l’étude de la guerre et de la révolution. En reliant la Résistance en France à d’autres mouvements de résistance, y compris le mouvement des droits civiques aux États-Unis, le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud et la dissidence dans l’Europe de l’Est communiste, un sujet qui est profondément pertinent aujourd’hui, il suggère des voies pour de nouvelles recherches qui s’engagent dans les notions de résistance à travers ces différents contextes historiques.

Cet ouvrage est à tous égards le testament d’un chercheur remarquable et d’une belle personnalité. On attend une traduction en français afin qu’il atteigne le public qu’il mérite.

Hanna Diamond


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (5 octobre 2025). Rod Kedward, The French Resistance and its legacy. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14uxb


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