Gaël Eismann et Fabrice Grenard, dir., La Résistance pionnière en France au prisme des archives de la répression. Été 1940-été 1941.
Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2025, 224 p.
Cet ouvrage collectif est issu du colloque scientifique qui s’est tenu à Caen les 1er et 2 décembre 2021. L’introduction de Fabrice Grenard rappelle de façon concise les difficultés rencontrées par les chercheurs qui travaillent sur les débuts de la Résistance et les débats entre les tenants du tout témoignage versus ceux prônant l’apport exclusif des archives.
L’ouvrage est divisé en trois parties.
La première aborde l’angle des acteurs de la répression et souligne leur grande variété. Gaël Eismann a réalisé un travail d’analyse approfondi d’un corpus de 1 250 dossiers issus des archives des tribunaux militaires allemands. Elle a identifié précisément les auteurs des infractions, leur nature et la nature des sanctions prononcées. De nombreuses données quantitatives enrichissent cette communication. Guillaume Pollack étudie la création du réseau Georges France qui s’est spécialisé dans le renseignement pour le MI 16. Grâce à l’étude d’une copie du jugement du tribunal militaire du Kommandant von Gross Paris, il analyse avec précision la constitution de ce réseau, fait un portrait précis de ses membres et montre les ressorts ayant conduit à sa chute. Claire Andrieu, au travers de l’exemple de la réception par les civils des aviateurs tombés en France, invite à une réflexion sur les termes de « première Résistance » et de « Résistance pionnière ». Elle souligne également le rôle essentiel assumé par les femmes, les Alliés ayant reconnu 30 % de femmes parmi les 34 000 helpers de France. Rémi Dalisson montre avec l’étude des pratiques de résistance culturelles et symboliques leur plasticité et l’enracinement du sentiment républicain en France. L’analyse géographique et chronologique du phénomène démontre sa précocité en zone occupée et sa poursuite plus tardive (1942) en zone sud. De nombreux exemples précis enrichissent cette étude. Jean-Jacques Gauthé se penche quant à lui sur le scoutisme dans la Résistance pionnière en Alsace et en Moselle. Son étude fine des archives des Sondergerichte (tribunaux spéciaux) installés à Metz et à Strasbourg et de celles du Volksgerichtshof (tribunal du peuple) permet de retracer précisément l’histoire de petits groupes de scouts-guides tels les Pur-Sang et le groupe Scius. Des engagements individuels dans des filières d’évasion sont aussi mis en évidence. Un autre espace de dissidence et de répression pionnière est mis en exergue par Robin Leconte, qui étudie les réactions des militaires stationnés au Levant après le discours du maréchal Pétain du 17 juin appelant à « cesser le combat ». Il dévoile les réactions des officiers supérieurs, entre hésitation et rentrée dans le rang pour la plupart, excepté le colonel de Larminat, et celles des troupes sur le terrain qui dans leur grande majorité restent fidèles à Pétain. Sur les 45 000 hommes stationnés au Levant, 706 sont considérés comme dissidents. Leur répression est étudiée grâce aux dossiers de la justice militaire conservés au Dépôt central des archives de la justice militaire (DCAJM) du Blanc, dans l’Indre.
Les deux autres parties abordent des variations régionales en distinguant les zones occupées ou annexées et la zone sud.
Deux communications portent sur la zone rattachée Nord-Pas-de-Calais. Laurent Thierry souligne la pluralité des formes de résistance durant la première année d’Occupation : assistance aux soldats alliés, sabotages des lignes de communication, détention d’armes de guerre abandonnées sur le champ de bataille, actes de résistance individuels « symboliques » comme chiffonner la première page d’une revue affichant le portrait d’Hitler ou chanter une chanson germanophobe. L’expérience de la première occupation en 1914-1918 encourage les passages à l’acte. Les cas cités et les sanctions infligées par les tribunaux allemands sont précis. La réflexion sur la répression menée par le général Niehoff en lien avec sa propre expérience de l’occupation française en Rhénanie en 1923 est particulièrement intéressante. Catherine Lacour-Astol apporte une réflexion sur le genre dans la Résistance pionnière dans cet espace. Elle invite à questionner le genre de la répression. Le récit et l’analyse de la manifestation du 14 juillet 1941 au cimetière de Crétinier et de sa répression permettent de rendre visible l’engagement autonome des femmes. Cécile Vast étudie la Franche-Comté, un territoire singulier après l’armistice, certains départements relevant de la zone interdite/réservée et d’autres de la zone non occupée. Son étude minutieuse des séries W des archives publiques des quatre départements lui a permis d’établir des singularités propres à ces espaces au statut différent. Elle observe ainsi la précocité du sentiment anti-allemand et de ses manifestations dans le Territoire de Belfort, l’importance des espaces frontaliers pour le développement des filières d’évasion et le caractère plus tardif des actes de résistance dans la partie sud du Jura.
L’étude des spécificités de la zone sud se concentre sur trois territoires : la Haute-Savoie, l’Isère et la région marseillaise.
À partir des rapports de police et des renseignements généraux (série W, cabinet du préfet), Fabrice Grenard a étudié la résistance pionnière en Haute-Savoie. Ses conclusions soulignent trois aspects essentiels. En premier lieu, ces archives rendent compte des actes isolés, tracts, graffitis, slogans. Les enquêtes ne permettent pas de découvrir les auteurs de ces manifestations hostiles et les autorités en sont réduites à des conjectures quant à leur identité : jeunes collégiens ou lycéens « irresponsables », réfugiés alsaciens et/ou lorrains, militants du parti communiste clandestin. En second lieu, les enquêteurs s’inquiètent de la mise sur pied d’une filière de recrutement pour l’Angleterre. Les chasseurs alpins seraient particulièrement visés par les agents britanniques. Les faits démontrent que cette analyse relève du fantasme. En dernier lieu et a contrario, la police sous-estime l’action menée par François de Menthon qui fonde le journal Liberté en novembre 1940, première pierre du mouvement éponyme. Menthon a gardé une couverture légale et a par exemple adhéré à la Légion des combattants. Il rejoint de Gaulle en 1943.
Olivier Vallade inventorie et analyse « les premiers marqueurs de la Résistance » en Isère. Un tableau analytique a été réalisé à partir des cotes relatives à la presse clandestine. Il met en évidence la prépondérance de la propagande communiste et l’aspect diffus et plus tardif de la propagande gaulliste. L’article comporte plusieurs reproductions de documents très originaux. Il faut noter en particulier deux photographies d’édifices recouverts de « V » de croix de Lorraine et de slogans hostiles au gouvernement.
Jean-Marie Guillon nous invite à réfléchir, à travers l’exemple de la région marseillaise, aux questionnements de certains Français lors des mois postérieurs à juin 1940 : que faire ? partir ? rester ? Il analyse les formes de résistance et montre que l’action politique n’est pas la seule voie prise en compte. Reprendre ou participer à des actions militaires est aussi une priorité pour certains Français. Les candidats au départ doivent trancher entre rejoindre les Britanniques ou la France libre. L’étude originale des détenus de la prison maritime de Toulon permet de faire une analyse géographique, politique et sociologique de ceux qui ont tenté l’embarquement clandestin pour reprendre le combat.
Dans sa conclusion, Alya Aglan rappelle la grande diversité des espaces géographiques étudiés lors de ce colloque et souligne l’importance de prêter attention aux parcours individuels. Il faut aussi mettre en exergue la richesse des sources et des exemples. Nul doute que les travaux de ce colloque ouvrent de nouveaux espaces d’études sur les résistances pionnières grâce à l’exploitation des multiples archives de la répression.
Dimitri Vouzelle
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Notes de lecture de la revue Le Mouvement social (14 septembre 2025). Gaël Eismann et Fabrice Grenard, dir., La Résistance pionnière en France au prisme des archives de la répression. Été 1940-été 1941. Le carnet du Mouvement social. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14nnd


